« Le moment le plus favorable pour votre baptême »

 

Samedi 16 avril 2022

 

Nous sommes nombreux pour fêter Pâques, mais je voudrais m’adresser spécialement à nos 3 catéchumènes, à Mathilde, Antoine et Louis. Dans un instant, vous serez baptisés. Ce baptême vous l’attendez depuis longtemps, nous croyons que votre cœur est prêt à entrer dans la vie nouvelle. Certes, vous serez les mêmes demain et les jours suivants, mais les sacrements de baptême, de confirmation et d’eucharistie vont vous être donnés, vont provoquer une rencontre. Le Christ, vous avez appris à le connaître. Mais cette rencontre sera comme les prémices de la grande rencontre que vous ferez au soir de votre vie. Et cette rencontre d’aujourd’hui vous aidera à réussir toutes vos rencontres. Je souhaiterais vous introduire aux gestes et aux paroles que nous faisons, car pour plusieurs d’entre vous, c’est la première fois que vous êtes en Veillée Pascale. Ces gestes, nous les faisons depuis presque deux millénaires, ils sont là pour réveiller notre mémoire, faire grandir notre foi et mieux comprendre ce qui s’est passé durant la semaine, et spécialement du 14 au 16 Nizan de l’an 30 à Jérusalem.

Certes, on pourrait dire que nous faisons des gestes, que nous entendons des paroles : peut-être que nous nous faisons illusion, que nous nous organisons un cadre symbolique pour être conditionnés. Mais Jésus lui-même est allé au Temple à Jérusalem, il a pratiqué la liturgie, cette prière dans un cadre symbolique, Il nous a dit que c’est un excellent moyen pour rejoindre l’Invisible.

Vous le savez, vous étiez là le mercredi des Cendres, notre itinéraire spirituel a donc commencé il y a plus de 40 jours. Ce jour des Cendres, des Cendres, justement, ont été déposées sur notre front. Et maintenant, nous sommes à l’autre bout de la démarche. Il ne s’agit plus de cendres mais d’un feu autour duquel nous sommes réunis, dans la nuit. Alors que dans le vieux monde nous passons de la vie à la mort, ici au commencement de cette veillée pascale, nous sommes invités à passer de la nuit au jour, de la mort à la vie. Dimanche dernier, nous avons inauguré la Sainte Semaine, et nous sommes revenus de la messe avec des rameaux bénis. Ces rameaux, nous les avons accrochés aux bois des Croix qui sont en bonne place dans nos maisons, signes de la victoire du Christ sur toutes les formes de mort.

Et puis jeudi, vous étiez là, nous avons célébré le dernier repas de Jésus. Nous le célébrons tous les dimanches, et même tous les jours. Mais ce jour-là, nous l’avons célébré comme si c’était la première fois en rendant grâce pour le don infini de Jésus auquel il ne faut jamais s’habituer. Et puis plusieurs d’entre nous se sont fait laver les pieds, en rappel de ce geste vraiment contre culturel, vraiment étonnant, qu’a fait Jésus ce soir-là, qui résume toute sa mission, et qui rappelle aussi que notre travail intérieur consiste essentiellement à se laisser faire, à se laisser sauver. Pour les plus courageux d’entre nous, notamment les étudiants, nous avons veillé une partie de la nuit. Comme les disciples, nous avons essayé de suivre Jésus au Jardin des Oliviers, dans sa grande solitude.

Le lendemain, le vendredi, nous avons accompli l’antique tradition du Chemin de Croix. Nous avons dépouillé l’autel, comme si nous étions en deuil. C’était le temps du silence d’amour face à la violence des hommes. Et l’actualité venait vraiment nous rejoindre. Ce jour-là, nous avons essayé le plus possible de le vivre dans le jeûne et la prière. Le soir, nous avons relu la Passion selon Saint Jean, certainement la plus historique et la plus symbolique. Et dans une longue prière, nous avons demandé au Christ d’intercéder, non seulement pour le peuple des croyants, mais pour la Terre entière, pour la sauver. Puis, on nous a présenté la Croix en l’élevant par trois fois en signe de victoire. Puis chacun est venu la vénérer, la toucher en se prosternant pour qu’on puisse avoir un contact personnel avec la réalité de l’abîme d’amour du Christ pour chacun de nous.

Et aujourd’hui, Samedi Saint, c’était le Grand Silence. Apparemment, rien ne se passe. C’est le jour dit « a-liturgique ». En fait, c’est le moment le plus important. C’est le moment où le Christ, dans la mort, est en train mystérieusement de soulever la chape de béton qui emprisonne l’humanité. C’est le moment, dit Benoît XVI, de la fission nucléaire, où la mort est comme blessée intimement par la vie. La mort est blessée à mort, c’est la victoire du pardon sur la violence. La victoire de l’amour sur la haine. C’est comme l’explosion intime de l’Esprit qui vient pulvériser le mal en tant qu’il est refus de la vie. On l’oublie, mais c’est en fait le jour le plus important. Il y a quelques mois, j’ai eu une expérience vraiment étonnante que je vais relater en quelques mots, a propos du Samedi Saint. Nous avons accueilli ici à Saint-Ignace, dans le cadre de l’opération Hiver Solidaire, 6 personnes de la rue. Et parmi eux il y avait Ahmed, un musulman qui était très étonné la première fois. En effet, ce n’est pas forcément très confortable d’être hébergé dans une église. Mais un soir à dîner, il m’a confié ceci : « j’ai fait 3 songes avec Jésus. » En 2014, il a fait ce songe avec Jésus que je vous dis en quelques mots. Je précise que cet homme n’a eu précédemment aucun contact avec l’Évangile, avec la culture chrétienne. Aucun. Il ne sait rien de Jésus, sauf ce qui est dit dans le Coran. Alors il m’a raconté son songe. Il était avec un de ses amis et ils aperçoivent un groupe en train de dîner par terre. Il reconnait Jésus avec ses amis (NB: il n’a jamais entendu parler du Jeudi Saint). Son ami lui dit « n’y va pas ! », mais quand même, dans son songe, il s’est avancé, et il a écouté. Voilà ce qu’il a entendu. Jésus dit à ses disciples : (j’ai pris des notes) « Je vais entrer dans une chambre de lumière trois jours, Dieu est en train de préparer mon retour sur la terre. » Je demande à Ahmed : mais qu’est-ce que c’est cette chambre ? Il me répond : « la chambre, c’est très fort ! » Un musulman qui m’explique le mystère pascal, le samedi saint, la partie la plus cachée du mystère pascal, celle que le Coran refuse absolument : c’est pas mal ! Et je vous avoue que cette pensée me poursuit toujours : « cette chambre c’est très fort ».

Nous sommes venus ce soir à cette grande veillée pour participer à cette résurrection du Christ. Oh nous sommes au courant de cette résurrection, vous et moi, mais nous ne la réalisons pas. Nous y croyons trop peu. Le feu de la nuit représente cette fission nucléaire de l’amour sur le mal, le cierge pascal annonce le Christ qui est venu vers nous annoncer cette victoire. Il l’a annoncée aux femmes dans l’Évangile, il a embrasé la ténèbre grâce à tous nos petits cierges allumés qui représentent chacune de nos vocations. Et comme la croix du Vendredi Saint, le cierge a été élevé trois fois en signe de victoire. Et puis comme nos frères et sœurs juifs, nous avons relu les grandes étapes du peuple des Croyants. Nous avons médité sur la longue préparation de cet avènement. Et donc c’est ici le moment le plus favorable pour votre baptême, chère Mathilde, cher Louis, cher Antoine, la liturgie de Pâques, c’est comme si nous étions devant un magnifique buffet, un festin où nous grapillons. Nous ne pouvons pas tout prendre, on aurait une indigestion. La liturgie nous dépasse toujours. Mais nous pouvons entrer dedans, dans cette prière de l’Eglise qui, nous l’espérons, va nous transformer peu à peu. Vous allez recevoir l’eau. Vous vous rappelez que vous devriez être plongés. Mais, pour les raisons que vous savez, nous ne pouvons pas le faire. Vous allez recevoir l’huile, car l’eau s’évapore mais l’huile va vous marquer profondément. C’est l’huile aussi, le chrisme de votre dignité d’Enfant de Dieu. Vous allez recevoir cette huile qui est parfumée. Vous allez répandre la bonne odeur de Jésus. Vous allez recevoir l’étole blanche, signe de votre création nouvelle. Et la lumière : vous l’avez reçue tout à l’heure, mais vous allez la recevoir, s’il vous plaît, en demandant au Seigneur de recevoir de Lui votre vocation. Tout à l’heure, vous n’allez pas seulement dire « je crois que je ressusciterai », vous allez dire « je crois que je suis déjà ressuscité, je suis en train de ressusciter. »

C’est cette grâce que nous allons demander les uns pour les autres, en renouvelant notre propre baptême.

Amen

Nicolas Rousselot sj