Office de la Croix, Vendredi 2 avril 2021
Retrouvez l’homélie du Père Rousselot sur l’enregistrement de l’office par la Radio RCF, présente avec nous pendant toute la Semaine Sainte, ou consultez le texte ci-après.
Lancer le lecteur ci-dessous et pour aller directement à l’homélie, placer votre curseur directement à la minute 33:00.
Texte de l’homélie:
En écoutant la Passion, nous sommes face à une question qui semble à première vue impossible : comment la mort d’un homme innocent, crucifié il y a un peu plus de deux mille ans, peut-elle sauver toute l’humanité ?
C’était l’intention de l’évangéliste Jean de nous montrer que Jésus est roi. Il semble conduire dans cette Passion tous les éléments qui pourtant vont le mener à la mort. Il est montré comme souverainement libre, même de la mort. Vous avez vu, après il y a de l’eau qui coule comme un ruisseau.
« Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne » est son maître-mot.
Apparemment le mal, c’est-à-dire la bêtise et la méchanceté ont le dessus. Mais selon saint Jean, c’est mystérieusement une ruse du bien. Le bien va gagner, comme si Dieu se servait de l’assaut de la violence sur son Fils unique pour la prendre sur Lui ; cette violence et l’anéantir. C’est exactement le sens de cette journée d’aujourd’hui, le Vendredi Saint, où nous contemplons la très paradoxale puissance de Dieu.
Pardonnez-moi la comparaison, mais ce serait un peu comme dans les arts martiaux où apparemment on cède à la force de l’adversaire mais pour l’utiliser au même moment, cette force, pour la précipiter, pour précipiter cet adversaire à terre.
Mais pour vous qui écoutez à la radio et peut-être vous n’êtes pas croyants, pas très croyants, c’est peut-être un peu compliqué.
Pour nous aussi. Que la Croix soit le signe de la victoire, alors qu’il n’y a rien de plus désespérant qu’un condamné innocent. Oui c’est un peu compliqué.
Il y a quelques jours, m’est revenue en mémoire une page tirée des Misérables de Victor Hugo que tout le monde, ou presque, connaît. C’est le moment où Jean Valjean est accueilli un soir de grand froid chez l’évêque de Dignes, Monseigneur Bienvenu. Et vous le savez, ce moment où l’ancien forçat est rattrapé par ses vieux démons, il va voler les couverts en argent de l’évêque. Et le lendemain, lorsque Valjean est repris par les gendarmes qui le ramènent manu militari chez l’évêque, l’évêque dit aux gendarmes : « Mais je lui avais donné ces couverts en cadeau. » et se tournant vers Jean Valjean, il dit : « Mais pourquoi n’as-tu pas pris aussi les chandeliers ? Tu les as oubliés. »
Et lorsqu’il reprend son chemin, complètement interloqué, Jean Valjean va vaciller. La force excessive de la bonté de l’évêque, son cœur va vaciller, lui qui n’avait jamais été aimé durant son enfance, comme il aurait du l’être.
Et Jean Valjean consacrera le reste de sa vie à faire le bien.
La bonté excessive l’a fait chanceler.
Cette histoire va très loin. On peut dire que l’évêque a volé le vol de Jean Valjean. Son excessive bonté a transmuté le vol en un don plus grand.
Et bien c’est exactement ce qui se passe à la Croix.
Dieu, le Père, a confié cette mission impossible à Son Fils bien aimé et Il est allé au cœur du mal pour le faire chanceler.
Très vite, une autre question affleure, plus redoutable encore. Si le mal a été anéanti il y a près de deux mille ans, où puis-je voir la victoire de la Croix aujourd’hui ? Où puis-je contempler le mal vaincu enchaîné ?
A première vue, c’est plutôt un déferlement. C’est une des questions les plus redoutables de la foi chrétienne. C’est la question du dernier livre de la Bible, l’Apocalypse.
Les premières communautés se la sont posé cette question, quand ils voyaient tant de leurs frères et de leurs sœurs succomber à la persécution dans les jeux du cirque ou ailleurs. Mais ils ont vu, ils ont témoigné, que ces martyrs recevaient une force extraordinaire qui les dépassait complètement. Et nous l’entendons aussi dans de nombreux pays aujourd’hui.
Mais c’est dommage. Nous ne prêtons que très peu d’attention à ces moments où tant de martyrs confessent la foi en Jésus mort et ressuscité.
Et puis dans l’histoire de l’Église, à chaque fois qu’on aura reconnu une femme, un homme, même jeune, rempli(e) de l’Esprit Saint, par la suite on les appellera « saint » car on avait vu, en leur vie, la victoire de la Croix sur toute forme de mal en eux. Et ils ont eu un impact autour d’eux pouvant durer parfois plusieurs siècles.
Et enfin, cette question redoutable se pose à chacun de nous, à chacune de nos communautés, de nos institutions « est-ce que la Croix, le pardon, est en train de gagner sur le mal ? en moi, dans ma famille, dans ma communauté, est-ce que la victoire sur toutes les formes du mal a un impact réel et transforme mes relations.
En fait c’est la question de la force de notre baptême : « Est-il vivant, est-il mort, est-il endormi, est-il congelé ? »
C’est la question que nous allons nous poser.
Malheureusement du fait de notre nombre et des conditions sanitaires, nous ne pourrons pas nous incliner, vénérer la Croix, là, les uns après les autres. La Croix sera déposée toute la journée dans notre église pour la vénérer selon ce qui vous conviendra, vous prendrez le temps qu’il faudra.
Je vous propose aussi, notamment aux auditeurs de la radio, de décrocher la Croix si elle est pendue à un mur et de la mettre en évidence. Et pourquoi pas la regarder comme si c’était la première fois.
Nos anciens ont choisi la croix comme signe de notre foi. C’est une folie. La Croix fait tout sauf rassembler, elle nous fait tous fuir. Et moi le premier. Mais aujourd’hui nous recevons la grâce de nous étonner de cette victoire incroyable et définitive sur le mal.
Amen
Père Nicolas Rousselot Sj