« Car toi seul est saint, toi seul est Seigneur, toi seul est le très haut, Jésus-Christ. Avec le Saint-Esprit, dans la gloire de Dieu le Père. »

 

Mardi 1er novembre 2022

 

La sainteté chrétienne n’est pas autre chose qu’une orientation de vie vers cette gloire du Père que les anges chantaient à la Nativité pour révéler que la sainteté de Dieu s’est étendue jusqu’à la vie des hommes appelés à vivre dans la paix. Belles paroles de la foi qui ont du mal à s’intégrer dans le cours du monde aujourd’hui, alors que s’est brisé depuis longtemps le rêve d’une humanité marchant selon une fraternité globale. Belles paroles qui ont tout autant du mal à se frayer un chemin pour l’Église dans laquelle nous voudrions vivre en sécurité, et qui est un lieu de combat intérieur en chacun de ses membres et dans les structures mêmes qui devraient permettre l’épanouissement de tout baptisé appelé à vivre en sainteté. La Parole de Dieu peut nous soutenir et nous consoler, et même nous encourager jusqu’à ce que nous entendions l’appel de jésus : «Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse ».

La première lecture nous présente la foule de ceux qui marchent : on se souviendra que la vision qui est décrite est celle de l’Église, non pas idéalisée mais celle dont on a souligné les pires travers dès le début du livre, dans les lettres aux sept Églises. De ce texte on peut sentir que la sainteté n’est pas un état de vie déterminé, une situation statique. Jean se souvient de la marche au désert du peuple saint, apprenant la sainteté, c’est-à-dire apprenant à vivre dans la liberté acquise : le saint est celui qui se sait sauvé, et qui sait qu’il ne s’est pas sauvé lui-même. Leur grande épreuve n’est donc pas un grand oral de grande école, le terme grec utilisé en Ap 7,14 est thlipsis, qui veut dire l’oppression, la souffrance et non pas l’examen, l’épreuve qui éprouve. Rien de volontariste, donc, dans la sainteté. Les saints sont passés par la détresse, par une situation qui n’était pas le lieu de paix auquel tout homme aspire, et le seul geste qui vient des saints, c’est, si vous me permettez la trivialité de l’image, qu’ils font leur lessive : ils ont blanchi leurs robes dans le sang de l’agneau, nous dit Jean. A la marche du désert s’ajoute ainsi la Pâque du Christ, cette traversée de la mer rouge que l’on franchit à pied sec. L’Église sainte se reçoit du cœur blessé et ouvert du Christ. Être saint, c’est donc être libéré, et marcher libre.

Cette liberté, le psaume nous aide à ne pas nous tromper à ce sujet, c’est une liberté de recherche. Chercher la face de Dieu, il faut pour cela la liberté de celui qui a le cœur pur et qui peut croire en l’innocence. Certes, une telle affirmation peut paraitre blasphématoire tant les abus de toutes sortes dans l’Église nous ont éloignés de cette innocence et l’ont fait mourir chez tant de personnes. Une victime d’abus par un prêtre m’a touché en écrivant ces lignes que je vous livre : « La mise à mort a consisté dans le viol de la conscience et la neutralisation de la liberté de la personne. La résurrection est donc une restitution de soi à soi, à l’intime de la conscience et dans la plénitude de l’exercice de la liberté. Là se trouve le mystère de communion la plus intime de la personne abusée à la mort du Christ. Il ne s’agit plus seulement de consentir au mal aveugle mais de consentir à cette humiliation-ci, cet outrage irréparable pour que, entrant cette fois-ci librement dans la passion du Christ, la personne victime recouvre pleinement cette liberté des Fils de Dieu, liberté restaurée par le sacrifice libre du Christ outragé. Cette œuvre de Salut ne se fait pas sans un long et laborieux travail puisque la liberté est en jeu, liberté qui a été violentée voire anéantie. » (Béatrice Guillon, « Victimes d’abus dans l’Église. Pour une théologie de la vulnérabilité, de la responsabilité et de la guérison », NRT 144-1, 2022, p. 24-37). La sainteté, c’est de croire que l’innocence n’est pas une utopie.

On comprend alors la charte de la vie chrétienne proposée par Jésus dans les Béatitudes. Qui n’a jamais pensé que c’était naïf, irréaliste, qu’on ne construit pas une société sur de telles affirmations qui vont à l’encontre de la justice la plus simple ? On n’oubliera pas qu’il s’agit de l’autoportrait de Jésus lui-même, que la sainteté ici proposée est celle d’un homme qui se met du côté de ceux qui pleurent, qui ont faim, qui sont pauvres, jusque-là où la vie est si éloignée de la perfection qu’on voudrait lui voir. Il y a quelques jours, lors d’un débat sur la fin de vie, une étudiante de 20 ans disait ne pas comprendre la position de l’Église : pour elle, l’euthanasie pouvait être considérée comme un acte de solidarité, de fraternité. La docteure en soins palliatifs qui lui a répondu a dit combien elle comprenait cette belle générosité, a pris le temps du silence, mais elle a témoigné que sur les 12.000 patients qu’elle a accompagnés un bout de leur chemin de vie en 25 ans de pratique avec son équipe, elle ne voyait que 3 personnes qui fussent restées sur leur désir d’euthanasie jusqu’à la mort. Le seul fait d’être auprès de ces plus fragiles apporte quelque chose du soulagement auxquelles aspirent ces personnes qui souffrent. La sainteté est source de pacification, d’une libération personnelle qui remet au contact des autres, du monde, dans la réconciliation. La sainteté c’est de l’espérer. Aujourd’hui, nous ne fêtons pas les héros martyrs, grands saints de la charité, les pasteurs, les religieux, mais la foule de ceux qui ont attrapé au vol une béatitude de Jésus et l’ont reçu comme une libération. Vous connaissez l’expression que le pape François aime beaucoup et qu’il a tirée d’un roman de Joseph Malègue (Augustin ou le maître est là, que je vous recommande) : « Il y a les saints de tous les jours, les saints « cachés », une sorte de « classe moyenne de la sainteté » » ? Elle désigne la foule de ceux qui vivent leur foi dans la simplicité des prières quotidiennes, dans la pauvreté de leurs raisonnements, mais dans l’humilité de leur charité. La TOUSSAINT célèbre ces personnes. Regardez autour de vous, regardez-vous, vous les verrez.

Bonne fête de La Toussaint.

Alban Massie s.j.