Dimanche 23 mai 2021
« L’Esprit de vérité vous conduira dans la vérité tout entière », Jean 15, 26-27 ; 16, 12-15
Merci d’accepter que cette homélie de Pentecôte prenne un tour inattendu. Bien sûr nous fêtons une solennité universelle, mais nous nous permettons aussi, de façon plus familiale, de commémorer un événement de notre histoire. Il y a cent cinquante ans, les 24 et 26 mai 1871, furent exécutés les otages de la Commune de Paris ; parmi eux, l’archevêque Mgr Darboy et plusieurs prêtres et religieux, dont les cinq jésuites qui sont enterrés dans cette église, au pied d’un autel latéral : les pères Clerc et Ducoudray, Caubert, Olivaint et de Bengy. Nous prions à leur mémoire et faisons remonter ce drame d’une lointaine génération.
Mais commençons par lever la tête vers les langues de feu pour rejoindre dans toute son ampleur la grande histoire. Heureuse fête de Pentecôte : l’Esprit du Ressuscité descend sur les disciples pour lancer l’Église. Regardez-les, ces langues de feu. Que suggèrent-elles, sinon l’expérience d’un cœur brûlant, la joie d’accéder à une vérité qui vous brûle les lèvres ? Ces hommes et ces femmes qui reçoivent l’Esprit seront des témoins. Ils sont entrés dans la joie de Jésus, ils ont été saisis par le souffle qui l’animait, par l’élan qui le portait. Avec Jésus, ils annonceront la Bonne Nouvelle aux pauvres. Le chemin s’annonce rude, il n’esquivera pas les épreuves, il passera peut-être par la mort, mais nous le savons de source sûre : cette joie des commencements n’est pas mensongère. Elle sera la plus forte.
Et les foules au-dehors, les entendez-vous ? Voilà un autre effet de l’Esprit, le brouhaha qui s’ensuit. Tout le monde s’approche, les oreilles se dressent. Il semble que l’univers n’attendait que cela. « Dans la stupéfaction et l’émerveillement », dit le récit, tous ces hommes et femmes de langues et cultures variées s’entendent. L’Esprit qui souffle est un Esprit de communion. L’Église sera pour l’humanité un ferment de fraternité. Lorsque Pierre aura pris la parole, les gens lui répondront : « Frères, que devons-nous faire ? » Le monde qui s’annonce est un monde fraternel.
Heureuse Pentecôte. Il est bon de réentendre cela tous les ans, tandis que l’histoire humaine n’en finit pas d’être violente et tortueuse. D’ailleurs rappelez-vous la suite du récit des Actes des Apôtres : aussitôt, les altercations et persécutions n’ont pas manqué. L’Esprit de sainteté risque fort de se heurter à l’esprit du monde. « Les tendances de la chair s’opposent à l’Esprit », dit Saint Paul. Entendons bien : l’affrontement ne sera pas entre une Église pure et un monde mauvais. Le combat sera dans tous les cœurs, l’Eglise elle-même en sera déchirée ; elle le sait trop bien. Chacun de nous connaît trop bien le poids de son péché et ses forces de mort ; mais nous savons que l’Esprit ne nous manquera pas, feu purificateur, consolateur, victorieux du mal. La joie sera la plus forte.
Comment ont-ils vécu la Pentecôte cette année-là, les paroissiens de Paris, quand la ville était en plein chaos ? Quelles prières instantes ont-ils lancées vers le ciel, implorant l’Esprit Saint qui viendrait apaiser les cœurs ? Sur le visage confus et brouillé du peuple français d’alors, sur le visage des Parisiens, j’imagine qu’on lisait toutes sortes de passions mélangées, des plus basses aux plus élevées. Dans le silence des églises et le fond des chambres où l’on priait, dans le chahut d’autres églises réquisitionnées en conseils de quartier, dans la queue des soupes populaires ou l’agitation furieuse des barricades, combien d’élans disparates et exacerbés ! Comment l’Esprit du Seigneur allait-il dénouer tout cela ? Comment allait-il pénétrer les cœurs un à un, entrer dans le meilleur qui se cache ici ou qui se cache là, stimuler les désirs de justice et condamner la violence indigne, qu’elle vienne d’un côté ou qu’elle vienne de l’autre ? Comment fera l’Esprit du Seigneur, sinon, en ce temps-là comme aujourd’hui, en comptant ardemment sur l’engagement de l’Église et des chrétiens ? Ils ne sont certes pas les seuls que l’Esprit Saint travaille, mais eux connaissent le visage de Jésus, ils le scrutent dans les Écritures. Alors, qui sera mieux équipé pour dessiner le visage d’une société apaisée ? Qui est tenu, plus que tout autre, de chercher et trouver les voies du débat social, de la rencontre fraternelle et de la réconciliation ? Les chrétiens ne possèdent pas la vérité politique, ni la solution juste pour régler les problèmes sociaux, ce n’est pas cela que leur souffle l’Esprit ; mais, idéalement, leur cœur devrait battre au rythme du cœur de Jésus et cela suffit. Ils seront artisans de paix.
Étaient-ils des artisans de paix, nos pères jésuites et leurs compagnons d’infortune ? Dieu le sait. Ce qui est certain, c’est qu’ils furent victimes d’un rejet de l’Église et d’un anticléricalisme forcené. Demandons pardon à Dieu pour cette haine insensée, et pardon aussi pour tout ce qui avait pu manquer auparavant à la justice évangélique, et tout ce qui y manque aujourd’hui encore ; car la rancœur et la haine sont un péché, mais derrière un péché il y en a bien d’autres qui l’ont précédé, et ce sont les nôtres. Pardon, Seigneur, pour tout le bien que nous ne savons pas faire aujourd’hui – il y aurait tant de justice à distribuer, tant de charité à inventer pour que le monde de demain soit paisible !
Nos pères jésuites inspirent le respect ; nous les confions à Dieu. Et nous lui confions bien d’autres témoins d’aujourd’hui. L’un d’entre eux par exemple : il s’appelle le P. Stan Swamy. C’est un jésuite indien de 84 ans. Il a servi toute sa vie les plus démunis en réclamant pour eux justice. Il est emprisonné depuis sept mois sur un chef d’accusation mensonger. On nous rapporte que son cœur est en paix. Vienne sur lui la joie de Pentecôte !
P. M. Roland-Gosselin sj
Prière universelle
Avec grande confiance en l’Esprit Saint « qui est Seigneur et qui donne la vie », nous prions aux dimensions de l’humanité entière.
- « Tous, nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. » Seigneur, nous te présentons ton Église. Dans la multitude des langues et des cultures, nous voudrions que son message soit audible et sa parole entendue. Aide-la à s’enraciner toujours mieux dans l’évangile, à écouter toujours mieux les aspirations du monde, et à se renouveler sans cesse au rythme de ton Esprit. Nous t’en prions.
- « Puisque l’Esprit nous fait vivre, marchons sous la conduite de l’Esprit. » Seigneur, nous te présentons tous ceux et celles qui ont des décisions à prendre ; éclaire-les. // Nous te confions également ceux qui peinent à ne pas céder aux séductions du monde, et ceux qui s’y efforcent courageusement ; soutiens-les. // Nous te confions enfin nos frères et sœurs qui s’engagent sur un chemin d’évangile, en particulier ce weekend en recevant le sacrement de la confirmation. Pour eux tous, nous te prions.
- Seigneur, en ce jour où nous évoquons un épisode douloureux de notre histoire nationale, nous te prions pour la France : qu’elle progresse dans la justice et la paix. Nous souhaitons également justice et paix pour tous les peuples de la terre. Nous te confions les hommes et femmes qui prennent des risques pour cela. À titre représentatif, daigne bénir le père Swami, dans sa prison indienne. Nous t’en prions.
- Enfin, nous fêtions jeudi dernier l’ouverture d’une « année ignatienne », en référence à la conversion d’Ignace de Loyola en 1521. Seigneur, que cette année soit féconde pour les jésuites, pour la famille ignatienne, et pour tous leurs efforts à l’école des Exercices spirituels. Nous t’en prions.