« Tu es le Christ », 24 ème dimanche du T.O. Mc 8, 27-35
Chers Frères et Sœurs dans l’amour du Christ,
Avant de relire les textes de ce dimanche sous l’angle de la foi, je vous propose de demander la grâce d’être croyants. « Nous le sommes ! », me direz-vous… Eh bien demandons de l’être davantage, et surtout, de l’être vraiment. De ne pas exprimer notre foi à la manière de Satan, comme Pierre a été tenté de la faire dans l’Évangile, mais de le faire à la manière divine que nous enseigne le Seigneur. Il nous entraîne alors de la tristesse où nous laisse le péché à la confiance en Dieu, d’une foi hésitante à la foi en vérité et en Lui, de l’influence de « l’assourdissement ambiant » à une manière de vivre à son exemple, le laissant nous conduire en restant constamment à son écoute.
De la tristesse à la confiance retrouvée
L’expérience de ma fragilité et de mon péché n’a eu qu’un seul mérite : me convaincre que le passage de la tristesse à la confiance retrouvée ne peut m’être donné que par le Seigneur lui-même, grâce à l’amour qu’il a pour moi, et à l’amour dont je suis capable pour lui en réponse. Le psalmiste n’exprime pas autre chose : « J’aime le Seigneur, il entend le cri de ma prière. » Cette prière est faite d’une action de grâce qui ne devrait pas nous quitter, pour le don de la vie, et les dons de Dieu dans la vie. Or, l’action de grâce nous quitte parfois, et la distance qui se crée alors entre nous et Dieu, conséquence de l’indifférence, de l’oubli et même de la volonté perverse, ne manque jamais de déposer sur notre cœur un voile de « tristesse » et d’ « angoisse. » Notre conscience nous avertit que nous avons péché, quand, « la main dans le sac », nous nous découvrons pris au piège que nous a tendu l’attrait de la mort, quand nous le laissons agir en nous : « J’étais pris dans les filets de la mort, retenu dans les liens de l’abîme, j’éprouvais la tristesse et l’angoisse. » Alors voici le seul secours du croyant : « J’ai invoqué le nom du Seigneur : Seigneur, je t’en prie, délivre-moi ! » Seul à résister devant le péché et la mort, le Seigneur nous communique sa force à chaque fois que nous nous tournons vers lui pour l’invoquer. Alors sa « tendresse » se fait connaître, jusqu’à mettre en nos bouches cette parole : « j’étais faible, il m’a sauvé. » Toute la vie chrétienne consiste en un effort pour « marcher en présence du Seigneur sur la terre des vivants.» … À compter sur Dieu et sa force, de manière de plus en plus ajustée. Un ami me disait qu’un manque ressenti après une marche dans les Causses lui avait révélé comme jamais la présence du Seigneur. L’enjeu de la vie chrétienne est bien de nous accoutumer à cette présence qui a pu déranger celui qui ne l’a pas encore assez aimée, au point de parfois l’oublier… Mais tout ceci, on n’y parvient pas en un jour, il faut toute la vie ! Il faut beaucoup de chutes et de patience mais le Seigneur est bien là et nous sauve véritablement quand nous désirons « vivre en sa présence. » C’est là qu’il se révèle notre Dieu : malgré notre fragilité, la force de sa miséricorde nous espère, nous apprend la patience envers nous-même, nous relève s’il le faut, et nous donne la bonne foulée sur notre chemin de vie.
D’une foi chancelante à la foi en la Vérité qu’est le Seigneur
Il n’est pas étonnant que Jésus questionne ses disciples sur son identité à Césarée de Philippe, région située à la frontière de la Syrie actuelle et connue pour le foisonnement des divinités païennes. Jésus serait donc « pour les uns Jean-Baptiste, pour d’autres Élie, pour d’autres encore un des prophètes. » Jésus semble tenir de tous les prophètes, et tous tiennent en fait de lui. Mais il est plutôt la quintessence de tous. Alors qu’a-t-il de particulier ? Il est le seul à pouvoir s’offrir en vérité au Père, parce qu’il est vrai homme et vrai Dieu, dans le sacrifice par excellence de la vie donnée qui culmine sur la croix. Il est le seul à pouvoir entrer pour nous en vérité dans les nuits du monde, lors de sa Passion. Mais cela, les disciples ont encore à le découvrir. Pour l’instant, la confession de foi de Pierre a beau être juste quand il dit « Tu es le Christ. » Le croit-il vraiment comme le Christ qui seul a la pleine intelligence des Écritures, au nom de laquelle il éprouve fort justement le besoin de le pousser encore dans ses plus insidieux retranchements ? Aussi l’enjoint-il avec tous les disciples, de garder le silence jusqu’à la révélation d’après la Passion, où la douleur d’un reniement lui procurera paradoxalement l’intelligence que l’Écriture s’accomplit dans le Christ. L’épreuve de la passion et de la croix du Christ sont le lieu où notre raison doit renoncer à rester seule si elle veut s’engager sur la voie vers Dieu sans fausser… Elle a besoin, sans renoncer non plus à elle-même, de l’éclairage de la foi. Paul l’a suffisamment rappelé dans la 1ère aux Corinthiens : la croix est « folie pour les païens » qui raisonnent, mais « puissance et sagesse de Dieu » aux yeux de la foi (1 Co 1, 23-24). Au moment où il révèle son avance considérable sur ses disciples, Jésus détruit en nous toute image d’un Dieu rêvé. Le Messie n’est pas un super guerrier écrasant l’occupant. Il n’est pas plus un Dieu « sans chair », comme le rappelle souvent le Pape François, et donc sans relation avec nous. Il ne correspond pas plus à une infinité de fausses images de Dieu, de l’ordre du fantasme, qui ne sont pas Dieu et qui ont parfois la peau dure en nous… Il est le Verbe qui a pris chair et dont la chair se communique à la chair, bien en relation vivante avec chacun qu’il vient sauver, accomplissant en chacun le passage de la mort à la résurrection. Dans les ténèbres du monde que nous ne rejoignons pas forcément de manière effective, mais que la communion de l’Église nous permet de rejoindre par la prière. « Il a tellement pris la dernière place » comme l’écrivait Saint Charles de Foucault, qu’il n’a laissé personne en rade… Dans les nuits du monde, étranger donc à toute gloriole, le Messie épouse l’obscure condition du serviteur souffrant qui avance vers sa croix.
Le témoignage de la relation vivante avec Dieu : la foi qui agit
Pour comprendre le sens des paroles de Jésus dans cet évangile, il faut accepter de recevoir de Lui la vérité sur Lui, c’est cela « [avoir] la pensée du Christ » (1 Co 2, 16.) Est véritablement croyant celui qui ne compte pas sur ses propres forces, mais qui se laisse enseigner par Lui. Comme avec Pierre, Jésus pousse notre foi dans ses derniers retranchements en en questionnant jusqu’à l’assurance. Laissons-nous donc enseigner par lui, comme le serviteur souffrant d’Isaïe : « Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille.» Le psaume dit aussi : « Il incline vers moi son oreille. » Remarquez que dans l’un et l’autre cas, le Seigneur a l’initiative : il ouvre notre oreille, et lui-même incline la sienne. Que dire encore ? Sinon que Dieu travaille exclusivement pour nous et en nous. Et que la vie chrétienne est affaire d’écoute intérieure, profonde, en dépit de tout remous ; qu’elle est affaire d’ajustement avec la vérité intérieure qui nous est révélée. Laissons-nous finalement guider, dans l’harmonie divine dans laquelle nous tient l’écoute, pour marcher « en présence du Seigneur. » Dans les sous-marins, un des cent-onze hommes d’équipage est « l’oreille d’or. » Il est chargé de détecter les bruits anormaux qui risqueraient d’entraver la course immergée de l’habitacle. Le croyant qui veut vivre sous la grâce de Dieu ouverte au baptême a à se laisser guider par l’oreille dans l’immersion du monde. Elle guide le cœur, l’intelligence, le corps tout entiers vers l’action de grâces ; vers l’action accomplie avec justesse : nous pourrions en rester à la foi théorique dont parle Saint Jacques : « la foi, si elle n’est pas mise en œuvre, est bel et bien morte. » Car la foi qui tient du rêve ou de la convention est inactive. Mais les œuvres vécues dans la foi en la présence de Dieu témoignent de Lui. Seigneur, accorde nous de toujours rester, à ton écoute, dans la force de ton amour qui nous transforme, pour que nous marchions ajustés, sans quitter ta présence.
Noel Couchouron, sj