Vendredi Saint à Saint Ignace le 18 avril 2025
Le prophète l’avait annoncé : le Serviteur est défiguré. Nous le contemplons, nous vénérons ce soir Jésus cloué à la croix. S’il n’a plus figure humaine c’est parce qu’il nous renvoie à l’inhumanité ; celle de tous les temps. Il lui prêt son visage. Il recueille en lui les solitudes et les souffrances de tant d’innocents, les injustices des bourreaux, les tortures et les guerres de partout, les mépris, les humiliations, les abus, les égoïsmes, les douleurs des peuples brisés, tout le mal que l’homme est capable de faire à l’homme. Le mal que nous faisons, chacun de nous, celui dont je fais mémoire ce soir au pied de la croix. Comment le Serviteur aurait-il encore figure humaine, apparence et beauté devant cette infinité de violences, lui le Seigneur qui partout passait en faisant le bien ?
Oui, il y a de la gravité ce soir parce que Jésus est mort et que chacun de nous est compris dans sa mort ignominieuse. Pourtant, nous ne venons pas pleurer un mort ; nous ne venons pas assister à des obsèques. Oh non ! La croix est dressée vers le ciel. Elle ne nous abandonne pas à une solitude glacée, sans berger pour toujours. L’avenir est déjà là. L’évangile de la passion est écrit comme au ralenti ; il prend du temps pour nous montrer des gestes, nous faire entendre des dialogues ; rythmé d’heure en heure, il nous manifeste les traces d’un chemin qui est déjà de victoire, une élévation pas à pas vers le calvaire. Jésus s’avance. D’une marche libre et triomphale en dépit des apparences. Aux envoyés des grands prêtres venus l’arrêter il répond par deux fois « c’est moi, je le suis », Jésus de Nazareth. Il fait face de toute sa présence. A Pilate il fait reconnaître sa royauté ; et c’est Pilate qui la proclame au monde en l’inscrivant sur la croix en hébreu, en latin et en grec ; ce sera bientôt dans tous les langages de la Pentecôte. Devant ce pouvoir impérial Jésus n’est plus un accusé, il est un maître ; il ne se défend pas ; il enseigne. C’est lui qui a l’autorité. Sa royauté éclate. Que les apparences sont trompeuses. Nous voyons la trahison, les coups, les épines et les clous, et le bois de la croix, et il nous faut bien les voir, et les ressentir, mais c’est déjà l’arbre de la vie qui se dresse. Jésus est le Seigneur. Aucun de ses os ne sera brisé. Déjà son corps est honoré, dans le tombeau neuf d’un jardin.
En vénérant le bois de la croix dans un instant nous allons ouvrir notre cœur à celui dont le cœur ne cesse pas de s’ouvrir pour nous. Sur le chemin du supplice, nous accueillons l’amour qui se révèle dans l’offrande de tout lui-même. C’est le chemin de la vie, l’unique chemin pour une vie qui ne se perd pas, une vie éternelle. Que Jésus le Seigneur nous donne de mieux comprendre la profondeur de ce chemin, celui du Serviteur ; qu’il nous donne de le goûter ce soir dans un cœur à cœur intime. Levons les yeux vers celui que nous avons transpercé. Avançons avec lui, notre Seigneur et notre ami.
H. Laux sj