Homélie du Jeudi Saint 28 mars 2024
Lieu d’achoppement
Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai bloqué pendant 40 ans sur le texte du lavement des pieds.
J’ai du mal à comprendre qu’un geste extraordinaire, un geste hors du commun, un geste, qui n’a été fait qu’une seule fois, soit source d’une exemplarité comme celle qui nous est proposé ce soir.
Je vais aller jusqu’au bout de mes résistances d’enfants, mais je prenais le Christ pour un hypocrite.
Mais je ne vous cache pas que j’ai passé plusieurs jeudis Saints complètement désolé étant envahi par ce sentiment que le Christ me trompe. Il me fait croire, que moi aussi, je dois être dans ce type de représentation.
Je suis même allé jusqu’à penser que le jeudi Saint, quand le prêtre faisait le lavement des pieds, il recevait sa caution « Service » de l’année.
Apriori de bienveillance
La seule qualité que je dois reconnaître devant ce problème, a été l’apriori de bienveillance. Je ne me suis pas désespérée de ne pas comprendre.
Affirmer que le texte avait quelque chose à dire, c’était reconnaître que je ne le comprenais pas.
Reconnaître que je ne le comprenais pas, c’était accepté de le comprendre, un jour.
Ce jour est arrivé, il y a un an.
Se vive como se muere
Comme par hasard, la vie est toujours compliquée. J’ai compris l’année dernière mais grâce a une phrase entendue il y a 10 ans. En cours de christologie, notre professeur en Espagne nous a dit : avec Jésus, « se vive como se muere. »
Le Christ est mort comme il a vécu. Toute sa vie n’est qu’une seule et même cohérence. Ce qui veut dire que sa mort est à l’image de toute sa vie.
Alors là, oui, sur la Croix Jésus est d’une cohérence immense. Il arrive ce miracle incroyable d’aimer ceux qui ne comprennent pas, ceux qui le prennent pour un traître et un ennemi de la nation.
Aucune rancœur, pas de violence. Il traverse l’angoisse le regard posé sur tous ceux qui sont là. Il aime sans problème.
Le problème du symbole
Bien que l’évènement de la Croix soit ponctuel, j’ai pu descendre dans la cohérence de ce moment avec toute la vie du Christ. Il a toujours aimé ses disciples, il les aime encore dans l’extrémité de la Croix.
Mais pourquoi cette mise en scène de la veille, pourquoi, pendant quelques minutes se faire passer pour un esclave.
Là, en fait ça bloque encore.
Jusqu’au jour, il y a un an où j’ai compris que je n’avais aucun sens du symbolique.
Un symbole n’est pas un geste hypocrite, c’est un petit geste qui vient dire une immensité. C’est un élément matériel limité qui vient dire l’illimité.
Jésus a toujours été esclave
Cela veut dire que Jésus a toujours mis la tenue de service, que Jésus a toujours été l’esclave de ses disciples.
Et là je me suis mis à reprendre tout l’Évangile : c’est une évidence.
Quand Jésus va guérir la fille de Jaïre, et que la femme qui a des écoulements de sang, lui touche le manteau, il arrête tout et se met à sa disposition.
Quand la femme adultère est présentée, il est là totalement pour elle, au sol, à dessiner, déjà au niveau de ses pieds.
Quand il guérit toute une nuit les malades qui lui sont présentés, il se fait imposer le timing de ceux qu’il sert. Il est le serviteur total.
Il a du travaillé comme charpentier ou ébéniste dans la même posture de disponibilité.
Conclusion
Donner sa vie, ce n’est pas mourir.
Donner sa vie, c’est donné son temps, donner de sa vie, être disponible et serviteur.
Jésus a su faire cela admirablement et le geste du lavement des pieds nous rappelle en quelques mots, la puissance qu’il nous est proposé de rejoindre :
- Nous sommes invités à communier à cette même disponibilité.
- Nous sommes invités à communier à ce même service.
- Nous sommes invités à communier à ce même Christ.
Cette communion est pour chaque instant, ce petit geste de manger un morceau de pain est là pour transformer notre vie entière.
Homélie du jeudi Saint, Benoît de Maintenant sj