Dimanche 26 janvier 2025
Ne 8,2-4a.5-6.8-10; Ps 18 ; 1 Co 12,12-30 ; Lc 1,1-4;4,14-21.
Luc nous parle des « événements accomplis parmi nous ». Pourtant, il écrit longtemps après ces mêmes événements et il devrait écrire, en bonne logique, écrire : « accomplis parmi eux ». Parmi les disciples, dans le passé. Mais ce ‘nous’ dit quelque chose d’essentiel de son projet et de notre foi. Dans les Actes, tout d’un coup, ce ‘nous’ va apparaître de manière très surprenante : « À la suite de cette vision de Paul, nous avons aussitôt cherché à partir pour la Macédoine, car nous en avons déduit que Dieu nous appelait à y porter la Bonne Nouvelle ». Comment mieux nous dire que nous sommes nous aussi appelés à annoncer l’évangile ? Il s’agir du même nous.
Cette question du ‘nous’ est au cœur de notre foi. Nous croyons que nous formons un ‘nous’, un ‘nous’ qui s’étend géographiquement et aussi temporellement. Nous avons été devant le prêtre Esdras. Nous avons entendu prêcher Jean le Baptiste et entendu Pierre et Paul. Nous avons vu des signes de l’Esprit Saint parmi ‘nous’. Ce ‘nous’ n’annule en rien le ‘je’, le ‘je de notre foi qui a une couleur unique, le ‘je’ que chacun de nous doit individuellement prononcer devant Dieu : le ‘me voici’ – hineni – des prophètes.
Il y a quelque chose de très étonnant dans ce qui se joue dans le mystère de la foi : d’un côté, elle nous individualise toujours davantage ; elle insiste sur le fait que nous sommes, « chacun pour notre part » comme dit Paul, des êtres uniques, appelés à une vocation unique, à recevoir un nouveau nom unique connu de Dieu seul : « Au vainqueur […] je donnerai un caillou blanc, et, inscrit sur ce caillou, un nom nouveau que nul ne sait, sauf celui qui le reçoit » (cf. Ap 2,17). Et pourtant, elle nous met en réseau, en lien, en communion ; elle nous fait appartenir à un corps, un ‘nous’ aux dimensions immenses. La foi crée un nous : c’est en ‘nous’ que nous disons credo, je crois. Que nous disons « amen, amen ». Impossible de le dire sans les autres mais impossible aussi de ne pas dire ‘je’. Dans la foi, plus je deviens un ‘je’ authentique, plus je peux appartenir à un ‘nous’ réel ; plus j’approfondis la communion du ‘nous’, plus je deviens moi-même. L’Eglise est ce corps mystérieux qui unifie autant qu’il individualise. Qui nous édifie autant qu’il me construit.
A bien y réfléchir, cela s’enracine dans notre expérience humaine : nous appartenons d’abord, bébé, à une famille, un couple, qui nous a donné naissance : sans ce ‘nous’ initial, il ne peut y avoir de ‘je’ possible : nous ne naissons pas à 15 ou 18 ans ! Il en va de même aussi du couple : il constitue bien un ‘nous’, mais ce ‘nous’ n’est vraiment vivant que lorsque chacun peut être – ou devenir toujours davantage – un vrai ‘je’. La communion n’empêche pas la personnalisation et vice versa. Au contraire.
Jésus a été cet être unique, incroyablement individué, original et personnel, à la fois ferme et humble, libre et obéissant, pratiquant loyal de la foi de son peuple, montant au Temple pour les fêtes et au culte le shabbat, et, en même temps, priant la nuit sur la colline, inventant des prières nouvelles (le notre père) et des paraboles inconnues, parlant « comme personne n’avait jamais parlé » (cf. Jn 7,46). Même s’il refuse de s’inscrire dans une lignée de maîtres et assume tranquillement son ‘je’, « amen, amen, je vous le dis » (Jn 5,24), il a toujours été uni au ‘nous’ de son peuple : il s’est mis en file avec ses frères pour se faire baptiser par Jean le Baptiste; il a participé au culte du shabbat comme un juif pratiquant solidaire de son peuple ; il a vécu la mort d’un rebelle ordinaire.
Oui, nous sommes appelés à dire ‘amen’ comme un peuple uni ; mais un peuple formé d’une multiplicité d’individualités uniques, un peuple de ‘je’, de personnes crées chacune à l’image de Dieu et où personne ne ressemble à personne.
Aujourd’hui, nous voici réunis ensemble pour écouter des lectures identiques et recevoir un pain unique. Et pourtant ce lieu est aussi celui où nous avons à entendre une parole personnelle, un souffle unique, qui n’est adressé qu’à ‘moi’.
Oui, réjouissons nous d’être appelés à rejoindre le mystère d’unité et de diversité de la Trinité même, elle qui nous appelle à la rejoindre en nous disant, à chacun, : « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime » (Is 43,4). Amen.
Marc Rastoin