Homélie pour le 31e dimanche (Dt 6, 2-6 ; He 7, 23-28 ; Mc 12, 28b-34)
C’est un évangile bien connu qui nous est proposé en ce jour : la conversation de Jésus avec un scribe, que nous avons entendue dans la version de Marc (elle se présente avec quelques variantes dans les autres évangiles de Matthieu et de Luc). Un évangile apparemment tout simple, et qui pourtant soulève plusieurs questions : comment comprendre la réponse de Jésus à la demande du scribe ? quelle est la réaction de ce scribe, dont Jésus dit qu’il a fait une remarque judicieuse ? et que signifie la parole finale que Jésus lui adresse : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu » ? Arrêtons-nous successivement sur ces trois questions.
Tout d’abord, comment comprendre la réponse de Jésus à la demande du scribe ? Celui-ci a posé la question « Quel est le premier de tous les commandements ? ». Or Jésus renvoie à l’Écriture ; il rappelle le premier commandement que nous avons entendu dans le passage du Deutéronome : « Écoute, Israël [en hébreu : Shema Israel »] : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force » (Dt 6, 5). C’est un texte majeur pour les juifs ; ce Shema Israel est en effet devenu l’une des prières les plus importantes du judaïsme (on doit la réciter en se levant et en se couchant), et cette prière demande d’aimer de tout son être le Dieu unique. Mais Jésus ajoute un second commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », ce qui est une citation du Lévitique (Lv 19, 18b).
De soi, certes, le fait d’associer l’amour de Dieu et l’amour du prochain n’est pas une invention de Jésus. On en trouve des exemples dans le judaïsme (ainsi, un païen avait interrogé des interprètes de l’Écriture et leur avait demandé d’exposer toute la Loi ; or l’un de ces interprètes, Hillel, qui appartenait à la génération précédant celle de Jésus, avait déclaré : « Ne fais pas à ton prochain ce que tu n’aimerais pas qu’il te fasse : voilà toute la Torah. Le reste n’est que commentaire[1]. » L’idée d’associer l’amour de Dieu et l’amour du prochain était donc connue dans le judaïsme. Et pourtant il y a deux choses absolument originales dans la réponse de Jésus au scribe. La première, c’est qu’il rapproche deux citations de l’Écriture, l’une prise au Deutéronome, l’autre prise au Lévitique : nulle part ailleurs on ne trouve une telle combinaison, ni dans l’Ancien Testament, ni dans aucun écrit du judaïsme à cette époque. La seconde originalité est que Jésus, même s’il parle d’un « premier » commandement et d’un « second » commandement, les présente tous les deux comme les plus grands : « il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. » Aucun texte du judaïsme ancien ne dit cela, Jésus est le seul à le dire.
Alors – deuxième question – quelle est la réaction du scribe, et pourquoi Jésus dit-il qu’il a fait une réponse judicieuse ? C’est que le scribe ne se contente pas de répondre : « Maître, tu as dit vrai : Dieu est l’unique… » (ce qui est déjà remarquable, surtout si l’on se rappelle que, dans les épisodes précédents, Jésus était au contraire en présence de scribes et de sadducéens qui cherchaient à le contredire) ; mais il ajoute : aimer Dieu de tout son être et aimer son prochain comme soi-même « vaut mieux que toute offrande d’holocaustes et de sacrifices ». Le scribe, dans sa réponse, ne parle donc même plus d’un premier et d’un second commandement, il les associe directement l’un à l’autre. Et surtout il en tire une implication très importante : alors que, dans la tradition juive on offrait des holocaustes, c’est-à-dire des sacrifices d’animaux qui étaient entièrement immolés, le scribe comprend qu’il y a quelque chose d’infiniment plus important que d’offrir tout un animal, c’est de se donner soi-même tout entier en aimant Dieu de tout son être et en aimant son prochain comme soi-même.
Jésus voit donc que ce scribe a fait une réponse judicieuse, mais – dernière question – pourquoi Jésus lui dit-il à la fin : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu » ? À travers cette parole on entend avant tout un hommage de Jésus à l’adresse du scribe. Mais on perçoit aussi une petite réserve : Jésus ne dit pas au scribe « tu es dans le royaume de Dieu », mais « tu n’es pas loin du royaume de Dieu ». Comment faut-il donc comprendre que le scribe, malgré sa réponse judicieuse, ne soit pas encore dans le royaume ? Cela peut s’expliquer par le fait qu’on en s’en tient ici à une conversation : le scribe a certes compris qu’il fallait aimer Dieu et aimer son prochain, mais il lui incombe encore de mettre cela en pratique. Cela peut aussi s’expliquer par le fait que l’entrée dans le royaume de Dieu n’implique pas seulement la reconnaissance des deux commandements les plus importants, mais aussi la foi et l’accueil du don de Dieu.
Il reste que l’épisode est un moment très remarquable dans l’itinéraire de Jésus. Malheureusement, c’est un épisode isolé : juste auparavant, Jésus a été en butte aux assauts des pharisiens ou des sadducéens qui voulaient lui tendre des pièges, et bientôt il sera entraîné vers sa Passion. Mais l’épisode est d’autant plus significatif : il y a au moins ce scribe qui aura compris l’enseignement de Jésus.
À nous aussi il est demandé de le comprendre. Et la meilleure manière de le comprendre est sans doute de contempler Jésus lui-même, car Jésus est celui qui, par toute sa vie, a pleinement uni en lui l’amour de Dieu le Père et l’amour de tous ceux et celles qu’il rencontrait sur sa route ; et il l’a plus que tout manifesté par sa mort – lui qui, comme disait l’épître aux Hébreux, n’a pas eu besoin « d’offrir chaque jour des sacrifices » mais qui « l’a fait une fois pour toutes en s’offrant lui-même ». La toute récente encyclique du pape François sur le cœur de Jésus nous aide à en reprendre conscience. Contempler le Christ qui du même mouvement a aimé Dieu son Père et a aimé jusqu’au plus petit de ses frères, c’est le chemin par excellence par lequel nous pouvons entendre l’appel à rendre « amour pour amour[2] », en aimant Dieu comme en aimant jusqu’au plus petit de nos frères. Qu’il nous soit donné de comprendre cela et d’en vivre dans le quotidien de nos jours, en sorte que nous ne soyons pas seulement comme le scribe à proximité du royaume de Dieu, mais que nous puissions nous entendre dire un jour : « entre dans la joie de ton Seigneur ».
Michel Fédou sj, 2-3 novembre 2024
[1] D’après C. Focant, L’évangile selon Marc, Paris, Cerf, 2004, p. 464.
[2] « Il n’y a pas d’acte plus grand que nous puissions offrir pour Lui rendre amour pour amour » (Pape François, encyclique Il nous a aimés, § 167).
PRIERE UNIVERSELLE 31ème dimanche ordinaire 3 novembre 2024
(pdt) Seigneur, nous sommes dans les jours de la fête de Toussaint, et une fois encore, nous venons vers toi pour t’exposer les joies et surtout les peines du monde :
Ecoute Israël : Fais- nous la grâce de t’écouter Seigneur, en chacune de nos vies. Nous te demandons aussi que le monde, et particulièrement ceux qui le dirigent, fasse silence pour t’écouter davantage. Nous te prions
Tu aimeras ton prochain comme toi-même :
Qui avons-nous du mal à aimer en ce moment ? Qui pourrions-nous aimer davantage, avec plus d’intelligence, plus de force ? Aide-nous Seigneur à progresser, en posant des choix concrets. Nous te prions
Nous te confions, parmi les drames du monde, notre pays voisin l’Espagne, en proie à des catastrophes climatiques. Que l’espérance qui vient de toi Seigneur, aide les familles, les communes à affronter traverser ces très lourdes épreuves. Nous te prions Seigneur.
Dans quelques jours, arriveront les élections américaines. Elles influeront nous le savons, sur le cours du monde. Seigneur, que ton Esprit inspire tous ceux et celles qui vont voter, afin que ce grand pays soit à la hauteur de ce que nous attendons de lui. Nous te prions Seigneur.
(PDT) Seigneur, nous avons confiance en toi, même si ta manière de répondre à notre prière nous échappe pour une grande part. Reçois nos vies en cette eucharistie, Dieu vivant pour les siècles des siècles.