XXXIII Dimanche du temps ordinaire

Ml 3,19-20a

Ps 97,5-6. 7-8. 9

2 Th 3,7-12

Lc 21,5-19

 

Chers frères et sœurs,

 

Les paroles dures et difficiles que nous venons d’entendre dans l’Évangile ont été prononcées par Jésus dans le contexte des jours avant sa Passion.

C’est ici où Jésus entend des disciples qui admirent la beauté du Temple. Il profite de cela pour nous livrer un enseignement sur le sens de l’histoire.

L’horizon de l’histoire est toujours obscur, mais en même temps nous ne pouvons éviter de poser la question pour son sens. Au temps de Jésus, les israélites se posaient la question de jusqu’à quand il seraient sous la domination romaine, ou quand le Messie reviendrait pour les libérer de l’oppression et inaugurer le Royaume de Dieu. Aujourd’hui nous vivons dans un monde où l’avenir peut nous sembler très difficile : des guerres à l’étranger, des crises politiques ou économiques à l’intérieur, une crise écologique suspendue comme l’épée de Damoclès sur nos têtes. L’horizon semble être fermé, et c’est là où les prises de décisions peuvent être dangereuses.

Face à l’histoire, Jésus fait un double avertissement.

D’abord, un avertissement réaliste : les beautés du Temple, ainsi comme toute œuvre humaine est condamnée à disparaître. Nous nous attachons à nos villes, aux œuvres d’art ou d’ingénierie qui configurent notre monde quotidien. Lorsque les guerres détruisent des œuvres architectoniques, des bibliothèques, des musées ou des monuments, il y a quelque chose de tragique, car avec cette destruction disparaît la mémoire des peuples. Nous pouvons penser aussi aux moments où une construction de nos villes par malheur brûle dans un incendie ou disparaît à cause d’une politique mal menée. Jésus avertit que cette destruction est quelque part inévitable, que l’histoire humaine a toujours été et probablement toujours sera pleine des malheurs. Ce qui est humain est périssable, souvent éphémère. Il ne dit pas cela pour nier l’importance de tout ce qui configure notre existence, mais pour faire diriger notre regard vers quelque chose qui puisse transcender et résister à n’importe quel destruction ou malheur.

Jésus nous livre de plus un second avertissement. Que cela soit la réalité de l’histoire, ne justifie en aucun cas les faux prophètes qui prétendent déterminer le moment de la fin. Jésus avertit contre ceux qui voudraient profiter des malheurs de l’histoire pour annoncer l’imminence de la fin. Ce gens-là cherchent le profit au milieu des imprévus de l’histoire. L’insécurité générée par la perte de sens, par les transformations sociales, par l’instabilité politique ou économique ont toujours été un terrain propice pour que des personnes sans scrupules veuillent nous manipuler, veuillent gagner de l’ascendance pour nous, pour leur propre bénéfice. On connaît cela des sectes religieuses avec un message apocalyptique, qui rassemblent des foules tout en mettant la main dans leurs poches. Mais aussi dans la vie politique s’impose souvent aussi un ton apocalyptique, par lequel on veut nous faire peur et nous forcer à prendre de décisions irréfléchies sur l’avenir.

On pourrait alors se demander : et maintenant quoi ? Que doit-on faire ? Comment sort-on de l’impasse où souvent l’histoire nous mène ?

Jésus ne donne pas de recettes. Face au mal de l’histoire son appel a été toujours un appel à la conversion. La fin de l’histoire, et avec la fin, les moments des malheurs sont toujours imprévisibles. Personne ne connaît le jour ni l’heure où le Fils de l’homme viendra. Personne, hormis Dieu lui-même, n’est pas maître de l’histoire. Personne n’est maître de l’avenir. L’avenir reste toujours ouvert comme espace de liberté, comme espace pour déployer notre être-chrétien. C’est dans cette histoire, avec notre liberté, où nous sommes appelés à être des filles et des fils de Dieu, cocréateurs avec lui, solidaires comme Jésus de Nazaret, toujours faisant le bien et libérant les enchaînés par les puissances du mal. C’est là notre appel, c’est sur ce chemin où Dieu marche avec nous.

Dans l’épître de Saint Paul aux Thessaloniciens, l’apôtre nous donne au moins un indice qui peut nous donner un sens de l’action. Paul ne nous dit pas comment nous devons prendre de décisions sur l’avenir. Mais au moins il recommande à la communauté que tout le monde travaille pour gagner le pain. Dans une communauté chrétienne naissante, où plusieurs attendaient que la fin des temps adviendrait à n’importe quel moment, il y avait des personnes qui avaient choisi de ne plus travailler. A quoi bon de travailler, si de toute façon la fin arriverait, se disaient-ils. Paul, néanmoins, se présente comme exemple à imiter : lorsqu’il avait prêché l’Évangile chez eux, il avait travaillé des ces propres mains, pour se maintenir. Et ceci n’est pas banal. Le travail est un engagement pour le présent et pour l’avenir. Il permet de gagner sa vie, de manger, comme dit Saint Paul, c’est-à-dire il permet la survie. Mais au-delà de la simple survie, le travail permet aussi de configurer l’existence en lui donnant du sens : le travail, à côté de l’amour, permet de donner un sens à nos actions. Le travail permet, de plus, la solidarité avec ceux qui ne peuvent pas travailler ou avec ceux sur lesquels les malheurs de l’histoire sont tombés.

Cher frères et sœurs, l’histoire a toujours été un espace d’insécurité et elle l’est toujours. On voudrait bannir les maux de notre présent et de notre avenir, mais nous savons que le plus souvent cela est au-dessus de nos forces. Le message chrétien ne nous anesthésie pas contre le malheur. Nous restons livrés à notre liberté, pris dans un tissu de décisions personnelles et collectives. Mais c’est là, dans notre liberté, dans notre engagement pour l’amour reçu de la part de Dieu, dans la solidarité que nous posons dans le monde, grâce à notre travail et à notre amour, c’est là, où nous donnons du sens à cette histoire. L’histoire n’est pas seulement une histoire de malheur, elle est aussi l’histoire de l’amour livré pour les autres : amour silencieux, moins bruyant que le mal, mais qui travaille toujours pour faire tenir ensemble le monde.

  1. Ingmar Vázquez García sj