Homélie 08 Décembre 2024

« La parole fut adressée à Jean, Fils de Zacharie, dans le désert ». Il y a, sœurs et frères, il y a dans la Bible, deux déserts. Mais avant d’y avoir accès, il faut d’abord s’en approcher. Pour y parvenir, on penserait volontiers suffisant de passer quelque temps dans la solitude d’un monastère, par exemple. Qu’un tel séjour soit utile, qu’il réoriente nos aspirations, je n’en doute pas même si ce moyen peut être illusoire également.

En effet, quelques journées pourraient-elles purifier un cœur encombré comme nous l’avons tous ? Et une durée aussi courte pourrait elle rivaliser avec celle d’une vie entièrement vouée au silence et à la prière ? Non, sœurs et frères, assurément non !

En revanche, pour nous qui habitons les grandes villes, il y a une multitude de chemins qui conduisent à l’orée du désert et que ménage, de plus en plus, notre monde qui se fissure et se décompose. Ces chemins, je m’étonne certains jours qu’ils ne soient pas mieux remarqués, comme si on n’osait pas s’y risquer, quand bien même la situation que nous vivons nous obligerait à les emprunter sans échappatoire possible. Aurions-nous peur, sœurs et frères, d’être menés sur cette route ? Vous connaissez comme moi les malheurs qui dévastent le monde et plus encore les malheurs pour lesquels je ne vais pas déployer une liste : ce qui existe, ce sont des amis, ce sont des sœurs et des frères que le malheur a pris à la gorge, au point que pour eux, le mot désastre n’est pas un vain mot. Pour eux, les apparences ont vacillé pour tomber en miettes ou en lambeaux. En ce dimanche, mon cœur va vers celles et ceux qui connaissent le divorce. La vérité s’est faite jour sur eux, sur les autres, terrible, impitoyable le plus souvent, mais aussi, grâce à Dieu, de temps à autre, douce et fraternelle. Souvent, et je ne peux que les comprendre, ils connaissent le ressentiment, la colère, mais plus encore l’abattement. Et pourtant, ils sont à deux doigts de saisir le diamant de la vérité, en eux bien sûr, mais aussi en ces quelques êtres fraternels qu’ils côtoient qui les portent sans ostentation et sans même le savoir. Ils sont en tout cas sur le chemin du désert sans s’en douter.

Jean Sullivan, ce prêtre écrivain, notait dans son journal spirituel « Matinal » : « les choses peuvent commencer petitement. Quelqu’un s’aperçoit qu’il n’est qu’un provisoire reflet et, le voici au désert. Ce n’est qu’un désert imaginaire dans l’espace qu’il avait peuplé d’illusions mais, après s’être retiré en lui-même, il peut arriver qu’il éprouve une plénitude qui n’est qu’un état d’âme, plutôt une nouvelle saison ».

Il y a dans la Bible, deux déserts ou, pour être plus juste, deux expériences du désert, celle d’Isaïe et celle d’Osée, des prophètes l’un et l’autre.

Le désert d’Isaïe, c’est celui que nous arpentons avec Jean Baptiste, ce dimanche. Comme il est écrit, une voix crie. Ce désert est une étendue dévastée, rien n’y reste pour accrocher le regard. La lumière s’est retirée sans que ce soit pour autant la nuit. Mais, dans ce vide où l’œil n’a plus rien à voir, l’oreille entend une voix qui résonne. C’est là, et là seulement, que l’on peut entendre la parole qu’amplifie pour nous Jean Baptiste : « préparez les chemins du Seigneur, aplanissez sa route ». Maitre Eckhart parle de ce désert avec une absolue justesse. « Il est nécessaire, dit-il, avant toute chose que tu ne te soucies d’absolument rien. Laisse-toi toi-même complètement et laisse Dieu agir en toi, comme il le veut. Dieu doit pénétrer entièrement dans ton être et dans les puissances de ton âme pour qu’après que tu te seras dépouillé et rendu désert, la voix crie ainsi qu’il est écrit. Laisse cette voix éternelle crier en toi comme il lui convient et sois le désert de toi-même et de toute chose ».

Le second désert est celui d’Osée : « Je conduirai ma bien aimée dans le désert et je lui parlerai au cœur ». Ce désert-là est à la suite de celui d’Isaïe, ou pour être plus exact, c’est le même vécu autrement car l’amour, -jusque-là dans un paisible repos, notez-le bien !- l’amour demande une considérable tenue de la volonté pour ne pas céder à la désespérance.

Ainsi, sœurs et frères, le désert est aussi le lieu de l’attente par le fait même qu’il est vide de tout comme s’il obligeait Dieu à venir à lui pour le remplir. Oui, tout ravin sera comblé, affirme Isaïe ; certes oui, vers l’âme dépouillée de tout. Dieu ne peut que venir pour s’y engendrer et naître en elle.

Une dernière question … ce dépouillement du désert, comment y parvient-on ? Le dépouillement est le fruit du non-vouloir. C’est assurément difficile et un peu déconcertant. Le non-vouloir n’est pas fléchissement de la volonté mais une abnégation. Ce non-vouloir est un vouloir qui n’a pas d’autre objet que la force de se maintenir comme tel, comme un élan puissant et très pur, pur de tout profit pour soi et de toute considération de soi.

Cette volonté qui ne veut rien n’est qu’amour par avance disposé à recevoir Celui qui vient, on ne sait pas quand, on ne sait pas où, on ne sait pas comment. Ce non-vouloir, c’est laisser place à celui qui vient et que je ne connais pas. L’Avent, sœurs et frères, n’est rien d’autre que ce dépouillement de la volonté qui mène l’âme au désert et là, comme le dit le prophète Isaïe : « tout homme qui aura consenti un tel détachement, tout homme verra le salut de Dieu, la naissance en lui de la présence du Verbe de Dieu ».

 

P. Marxer, sj