17e dimanche du temps ordinaire (Gn 18, 20-32 ; Col 2, 12-14 ; Lc 11, 1-13)
La première lecture et l’évangile de ce jour nous parlent de la prière, et plus précisément de la prière de demande. Dans l’évangile, en particulier, Jésus enseigne ce qui doit être la prière centrale de ses disciples, puis il raconte une parabole pour illustrer l’exigence de demander à Dieu ce dont nous avons besoin.
Mais avant de nous arrêter sur ces deux moments essentiels, soyons attentifs à ce qui est dit tout au début : « Il arriva que Jésus, en un certain lieu, était en prière. » Jésus lui-même a prié ; les évangiles nous disent qu’à tel ou tel moment il s’est retiré dans la montagne pour prier, Matthieu et Luc nous rapportent même les mots que Jésus adresse à son Père (« Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre… » : Mt 11, 25-27 ; Lc 10, 21-22), nous nous rappelons aussi la prière de Jésus lors de son agonie au jardin des Oliviers, ou encore la longue prière que l’évangile de Jean met sur ses lèvres juste à la veille de sa Passion. Jésus lui-même a prié, que ce soit en reprenant les paroles des Psaumes ou de toute autre manière. Et c’est justement parce qu’il a connu cette expérience de la prière que les disciples se sont tournés vers lui et lui ont adressé cette demande : « Seigneur, apprends-nous à prier. »
La réponse de Jésus consiste d’abord à enseigner ce qui doit être la prière centrale des disciples. C’est la prière que nous reprenons, à quelques termes près, dans le « Notre Père ». Elle ne consiste qu’en peu de mots, mais ces mots disent l’essentiel. La prière consiste d’abord à invoquer Dieu comme Père – c’est-à-dire non seulement comme l’Origine de ce que nous sommes, mais comme Celui qui est bon, tendre et miséricordieux envers ses créatures (et nous pouvons nous rappeler que la Bible, en tel ou tel endroit, parle aussi de Dieu comme d’un mère chérissant son enfant). La prière dit ensuite notre désir que le nom de Dieu soit sanctifié et que son règne vienne, puis elle formule ces trois demandes vitales : « donne-nous le pain… », « pardonne-nous nos péchés… », et « ne nous laisse pas entrer en tentation ». « Donne-nous le pain… », c’est-à-dire donne-nous ce dont nous avons besoin pour vivre jour après jour ; « pardonne-nous nos péchés… », car nos fautes nous séparent de toi mais nous te demandons de nous réconcilier avec toi ; « ne nous laisse pas entrer en tentation », car nous risquons de succomber au mal mais tu peux justement nous en préserver. Oui, ces quelques mots du Notre Père disent bien l’essentiel de la prière chrétienne ; et l’on comprend qu’au 16e siècle sainte Thérèse d’Avila, dans son traité Le chemin de la perfection, ait pu s’appuyer sur cette prière pour instruire les chrétiens : « J’admire vraiment, disait-elle, comment, en si peu de paroles, toute la contemplation et toute la perfection se trouvent enfermées[1]. »
Mais Jésus ne se contente pas d’enseigner cette prière. Il poursuit en racontant une parabole, celle de l’homme qui vient de nuit frapper à la porte d’un ami pour lui demander trois pains ; l’ami en question refuse parce que la porte est déjà fermée et qu’il est couché, mais, devant l’insistance de l’autre, il finit par céder : « je vous le dis, déclare Jésus : même s’il ne se lève pas pour donner par amitié, il se lèvera à cause du sans-gêne de cet ami et il lui donnera tout ce qu’il lui faut. » La prière doit donc se faire insistante.
C’est bien ce dont témoignait Abraham dans l’épisode de la Genèse que nous avons entendu en première lecture ; il implorait le Seigneur pour la ville de Sodome : s’il y a 50 justes, vas-tu la faire périr ? Non, répondait le Seigneur ; alors Abraham insistait : s’il y a 45 justes, ou seulement 40, ou 30, ou 20, vas-tu faire périr la ville ? Non, répondait encore le Seigneur. Et s’il y a seulement 10 justes ? Non, disait le Seigneur, même s’il n’y a que 10 justes, je ne ferai pas périr la ville. Abraham, dans sa prière, n’a pas craint d’insister. Il est vrai que sa demande s’arrête là – comme s’il ne voulait pas pousser sa supplication à l’extrême, de peur d’offenser Dieu –, et finalement Sodome sera détruite, mais il y aura eu au moins quelques rescapés en la personne de Lot, de sa femme et de ses deux filles.
Quoi qu’il en soit d’Abraham, la parole de Jésus est en tout cas des plus nettes : il ne faut pas cesser de demander, de prier, de supplier. Et Jésus ajoute que, dans cette mesure même, la demande sera exaucée : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. » Cela ne veut pas dire que nos demandes soient nécessairement exaucées dans le sens que nous pensions, mais cela signifie qu’elles sont entendues, que le Seigneur les exaucera d’une manière ou d’une autre, et qu’en tout état de cause, comme le dit Jésus, le Père du ciel donnera l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent.
Encore faut-il, précisément, que nous le lui demandions. Le Seigneur ne désire rien d’autre que nous donner, mais, loin de nous imposer son don, il attend de nous que nous le désirions. Il l’attend, et donc, de quelque manière, il le demande lui-même. La prière est certes l’expression de notre désir, mais elle est en fait la réponse à ce que le Seigneur attend de nous. Avant même que nous demandions quoi que ce soit, c’est le Seigneur qui, le premier, frappe à notre porte. L’Apocalypse le dira magnifiquement lorsqu’elle fera entendre cette parole du Christ ressuscité : « Voici, je me tiens et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui et je souperai avec lui et lui avec moi » (Ap 3, 20). Alors, ne refusons pas de lui ouvrir la porte. Accueillons le Seigneur qui, le premier, nous implore de lui faire place dans notre vie. Et plus nous l’accueillerons en nous, plus nous serons habités par l’Esprit de Dieu, et nous pourrons alors lui adresser nos propres demandes et supplications avec la certitude que ce que nous demanderons nous sera donné, que ce que nous aurons cherché pourra être trouvé, et que la porte à laquelle nous aurons frappé nous sera effectivement ouverte.
Michel Fédou sj
26-27 juillet 2025
[1] Sainte Thérèse d’Avila, Le chemin de la perfection, ch. 37, dans Œuvres complètes, Paris, Cerf, 1995, p. 844.