« Même en Israël, je n’ai pas trouvé une telle foi ! » (Lc 7, 1-10)

 

Quel beau texte que ce passage d’Évangile ! Ce texte déborde d’humanité et convient très bien pour une rentrée académique, a fortiori quand cette rentrée est jubilaire. Quand Jésus dit que le Royaume de Dieu advient, qu’il est présent au milieu de nous, c’est particulièrement visible et tangible dans ce récit. Un centurion romain envoie des juifs – dont il est dit que ce sont ses amis ! – pour intercéder auprès de Jésus pour un de ses esclaves.

Un centurion pour son esclave. L’officier aurait pu penser : « Ce n’est qu’un esclave ; je pourrai le remplacer. » Non ! il tient beaucoup à lui, suffisamment pour faire ce qu’une mère ferait pour son enfant malade ou un père pour son fils possédé.

Ses amis juifs auraient pu dire : « Qu’il y aille lui-même ! » ou bien « C’est un Romain, un envahisseur ; d’autant que maintenant la synagogue est construite, on n’a pas besoin de lui. » Plutôt qu’un renvoi à l’expéditeur, ils se déplacent et se font intercesseur et avocat, plaidant sa cause, rappelant son engagement pour leur nation et leur religion.

Jésus aurait pu dire : « Pourquoi n’est-il pas venu ? pourquoi ne se déplace-t-il pas lui-même ? » ou encore « La loi m’interdit d’aller chez lui et de fréquenter un infidèle ». Jésus aurait pu… mais il se met en route. Il va vers un homme d’une autre religion, ému par la maladie d’un esclave, la maladie d’un homme d’une autre catégorie sociale.

Et la conclusion de tout cela : un cri d’admiration de Jésus. « Même en Israël je n’ai trouvé une telle foi ! »

Que de fossés sont enjambés dans ce récit, que de frontières sont dépassées ! Quand vous enseignez la théologie, quand vous étudiez la théologie, n’oubliez jamais de regarder comment Jésus se comporte. Il se rend proche, en enjambant les fossés et en traversant les frontières. Il s’émerveille et pousse des cris d’admiration. Saurez-vous dans vos recherches, dans vos publications, dans vos dissertations tenir compte de cette manière d’être et de faire de Jésus ? Saurez-vous la mettre en lumière ? Notre foi chrétienne ne permet pas séparation, division, polarisation.

Ce n’est pas pour rien que philosophie et théologie sont interconnectées dans l’ex-Centre Sèvres, et que « ce pas de deux » continue à marquer les Facultés Loyola Paris. Ce n’est ni un hasard ni un détail. Pouvoir nous émerveiller du discours de l’autre, même s’il est d’une autre religion, car il partage la même humanité que moi, que nous… la même humanité que Jésus Christ ! Désir de trouver ce qui nous relie, ce qui nous rapproche ; engagement à chercher ce qui relie et rapproche. Ce n’est pas seulement ignatien, c’est tout simplement chrétien ! Je vous demande instamment que les Facultés restent chrétiennes, mettent en lumière le Christ et donc sa manière de faire.

Soyez chrétiens dans vos recherches, vos enseignements et vos écrits. Sachons aussi être chrétiens dans nos manières de faire et nos comportements. Dans mes propres études de théologie, j’ai croisé certains enseignants – je vous rassure ils étaient peu nombreux – qui m’ont désolé, tiré vers le bas, voire découragé d’être chrétien par leur manière d’enseigner. Il y a une manière d’asséner des vérités, qui désert la vérité. La manière, le comportement est alors aux antipodes de l’Evangile que nous voulons servir. Avant d’être une pédagogie particulière c’est une manière d’être et de vivre qui est en jeu.

Avez-vous remarqué, dans la première lecture, le contraste au cœur de ce passage de l’Epitre aux Corinthiens ? Paul fait mémoire de la dernière cène, en lien avec la pratique de l’eucharistie dans les premières communautés. C’est donc particulièrement important, voire solennel : la plus ancienne allusion à la Dernière Cène. Et pourtant ce récit arrive dans le contexte d’une réprimande : « chacun se précipite pour prendre son propre repas et l’un reste affamé, tandis que l’autre a trop bu ».

Mise en garde pour nous : il ne suffit pas de connaître et d’approfondir, il s’agit d’abord de pratiquer. Mise en garde pour nous qui risquons toujours de ressembler à ces scribes ou pharisiens que dénonce Jésus. Aucune communauté chrétienne n’est immunisée : ce n’est pas parce que nous célébrons l’eucharistie que nous sommes parfaits, que nous échappons aux divisions, aux replis sur nous-mêmes, … aux abus. Aucune faculté catholique n’est immunisée : ce n’est pas parce que nous fréquentons les textes saints et approfondissons la tradition de l’Eglise, que nous ne nous trompons jamais ; ce n’est pas parce que nous commentons les principes éthiques et moraux, que notre comportement est sans faille et que nous ne dérapons pas.

Je conclus :

Un jubilé c’est l’occasion de rendre grâce, mais sans croire qu’il n’y a eu ni divisions ni dérapages dans le passé. Un jubilé c’est l’occasion de recueillir des fruits, mais sans nous endormir sur des lauriers au risque de ne plus porter de nouveaux fruits voire de glisser vers l’impardonnable, le comportement des scribes et pharisiens. Un jubilé c’est l’occasion de se recentrer sur l’essentiel : une personne, Jésus-Christ ; c’est chercher à comprendre son être mais aussi sa manière d’être, pour la mettre en lumière pour autrui, s’en inspirer pour soi, et en vivre ensemble.

Thierry DOBBELSTEIN sj

 

->Pour en savoir plus sur la visite du supérieur général, vous pouvez consulter le site des facultés Loyola Paris