« En Cours de Conversion »
Dimanche 31 juillet 2022
Vous souvenez-vous ? Nous avons commencé l’année ignatienne le 20 mai 2021. Je ne me souviens plus dans quelle vague pandémique nous étions, mais je me souviens que cela faisait 500 ans qu’un boulet de canon brisait la jambe et les rêves d’Ignace. Nous voici 14 mois plus tard. 14 mois après le boulet, où Ignace était-il ? Il y a 500 ans il était déjà à Manresa, à 500km de Loyola, malgré sa jambe boiteuse ; il y était arrivé quatre mois et demi plus tôt. Quand nous parlons de conversion d’Ignace, cela ne s’est pas fait en une fois ; il n’a pas suffi d’un boulet de canon, ni de quelques mois dans sa chambre de convalescent. C’est tout un processus.
Je vous fais une confidence : j’aime beaucoup un passage dans ce processus, dans le récit du Pèlerin : il s’agit de l’épisode de la mule. L’épisode est particulièrement intéressant dans un contexte actuel, marqué par des violences de religieux extrémistes. Ignace est en chemin vers Manrèse ; il est proche de Montserrat. Il songe très sérieusement à trancher la gorge d’un musulman pour défendre l’honneur de la Vierge Marie. Tout cela fait suite à une conversation houleuse dans laquelle le musulman a remis en question la virginité de la mère de Jésus. Ce n’était pas qu’une idée en passant ; c’était suffisamment prenant, pour qu’il se retrouve dans une impasse, ne sachant que faire. Il ne s’est pas arrêté pour réfléchir, pour discerner sereinement ; pas plus qu’il ne s’était arrêté à Pampelune pour réfléchir et voir si cela avait du sens, avec ces quelques centaines d’hommes, de résister à une armée bien plus nombreuse. Sur le chemin de Montserrat, il était certes assis, mais sur le dos d’une mule, et il n’a pas arrêté celle-ci ; il a laissé décider la mule qui le portait. Heureusement que la mule a bien choisi, et qu’Ignace a obéi à la mule, sinon nous ne serions pas ici.
Le plus étonnant est qu’Ignace nous raconte cet épisode, à la fin de sa vie, alors qu’on le considère comme le maître du discernement. Ignace a appris, progressivement ; il a perçu les impasses dans lesquelles ses convictions fortes et certitudes ont pu l’enfermer en certaines étapes. Il a appris en cheminant, et il nous invite à apprendre à notre tour, pas à décider à notre place : « tu feras des erreurs, mais j’en ai faite aussi… »
S’il est une expression que je n’aime pas c’est celle de « jeune converti ». Le participe passé laisserait entendre que c’est accompli. Alors qu’Ignace enseigne, par sa vie d’abord, que le processus est long. Il n’y pas que pour former un jésuite que c’est long. La structure des Constitutions semble indiquer que c’est un processus de la vie entière. Le chapitre 4 de la partie VI vient conclure le processus : c’est l’entrée dans la résurrection qui nous fait entièrement compagnons de Jésus. Plutôt que converti, si on disait d’Ignace et de nous : « en voie de conversion » ?
Ignace n’est pas passé d’un coup de baguette magique de l’identité de soldat orgueilleux à celle de disciple du Christ, humble et équilibré. Dans son itinéraire, un rêve très humain a d’abord été remplacé par un autre, contenant des imageries religieuses certes, mais qui restait un rêve humain ; il a fallu des combats pour qu’il lâche prise : et qu’il comprenne que c’est le Seigneur qui doit guider sa vie ‑ pas seulement inspirer sa vie ‑ mais la guider ; laisser le Seigneur prendre le gouvernail. Se laisser faire par lui, plutôt que de vouloir faire à sa place. « Vivre l’indifférence, pour laisser le Seigneur faire la différence dans sa vie. » ‑ l’expression n’est pas de moi, mais du P. Kolvenbach. Le risque est grand en effet de nous mettre à la place de Dieu. Comme si je savais mieux que lui ce qu’il conviendrait de faire. Ignace, mais avant lui aussi Simon-Pierre et bien d’autres pourraient en dire quelque chose. A Manresa, il y a 500 ans, les combats ont été vigoureux, peut-être plus qu’à Pampelune, pour finalement se laisser instruire comme un petit enfant.
Oserais-je encore un dernier point un peu provoquant. Je suis content que l’année ignatienne se termine. Ignace n’aimait pas trop qu’on parle de lui. Et voici qu’on donne son nom à une année !? La Compagnie de Jésus porte le nom de Jésus, et non pas d’Inigo, ni d’Ignace. Les laïcs l’ont compris aussi : eux qui parlent de communauté de vie chrétienne. Si parler d’Ignace faisait de l’ombre au Christ, nous ferions complètement fausse route. Je suis heureux que l’année ignatienne se termine, et qu’elle se termine par un renouvellement de notre consécration au Cœur de Jésus. Et si vous avez retenu le thème de l’année – voire toute chose nouvelle en Christ – plutôt que les dates de commémoration de la vie d’Ignace – vous avez très bien fait ! Jésus et lui seul ! Si vous n’avez pas profité de ces 14 mois pour voir toute chose nouvelle en Christ, vous avez encore le droit de le faire dans les mois à venir. Mais prenez-en les moyens dès aujourd’hui, pas demain. Être concret, prendre les moyens, c’est recommandé pour les « en cours de conversion » que nous sommes.
Il est toujours bon de résumer :
- Ignace nous montre que la conversion ce n’est pas d’un seul coup, il y a bien des étapes marquantes, mais surtout un long processus, un long pèlerinage qui permet la conversion.
- Le cœur de la conversion, c’est d’apprendre à ne pas prendre la place de Dieu, mais à se laisser faire par lui.
- Enfin que nos évocations d’Ignace mettent toujours le Christ en lumière et lui seul. Ignace nous encourage toutefois aux moyens concrets pour poursuivre notre chemin de conversion, en année jubilaire comme en année ordinaire.
Thierry Dobbelstein Sj