Un récit-dynamite !
Dimanche 8 janvier 2023
En cette fête de l’Épiphanie, devant ce récit à la fois magnifique et un peu étrange, nous pouvons nous poser deux questions :
Qui sont ces mages ?
Pourquoi Mathieu l’Evangeliste choisit de les placer à la crèche ?
Je vais essayer de montrer que ce récit est en fait de la « dynamite », et même, un récit hautement polémique.
Il se trouve que, au temps du Christ, et même bien avant, dans la région de la Perse, un mouvement religieux invitait à adorer Dieu comme le Dieu de la lumière « Ahura-Mazda » (ce qui donnera la religion monothéiste du zoroastrisme). Ces gens avaient une conception assez étonnante du monde, le voyant pris dans un combat entre la lumière et les ténèbres. On s’imaginait que s’étendait au-dessus de nous, une sorte d’immense toile de tente de bédouin, enveloppant toute la terre. Cette toile de tente était percée d’une multitude de trous – les étoiles- qui laissaient passer la lumière. Ces points de lumière étaient donnés par Dieu pour pouvoir orienter sa vie. De fait, on a retrouvé dans ces régions, des milliers de tablettes en argile où sont écrits des horoscopes, près d’édifices identifiés volontiers comme des observatoires.
Pourquoi ces mages en suivant cette fameuse étoile, arrivent-ils à la crèche ? Ceci est très, très bizarre car dans la mentalité d’Israël, l’astrologie est le contraire de la foi. En effet, ce que la Bible abhorre le plus, ce qu’elle déteste le plus, c’est le savoir des astres, la divination, le fait de percer la connaissance de l’Au-delà et de l’avenir, évitant de faire alliance avec Dieu.
Le message de Mathieu, un peu crypté, ne fait pas de doute : toutes les prophéties s’accomplissent dans la venue de l’enfant de Bethléem. Celle d’Isaïe, celle du psaume 71-72, que nous venons d’entendre : « Toutes les nations marcheront vers ta lumière, les rois apportant l’or et l’encens ». De même, la prophétie de Michée, lue par les sages de Jérusalem au Roi Hérode, indiquant que le messie naîtra à Bethléem. Mais, suggère Mathieu, il existe une 3e prophétie, celle du livre des Nombres (chapitre 25). Vous vous rappelez peut-être l’histoire du devin Balaam. Le peuple d’Israël finissait sa traversée du désert et arrivait vers le pays actuel de la Jordanie. Il devait traverser des petits royaumes. Un des rois nommé Balak, furieux que le peuple d’Israël passe sur ses terres, ordonne à son devin Balaam d’aller au-devant d’Israël pour le maudire, de lui lancer des imprécations, afin qu’il puisse rebrousser chemin. Le récit est savoureux, le devin Balaam est monté sur une ânesse. Celle-ci, apercevant l’ange du Seigneur sur le chemin, refuse de faire un pas de plus. Au moment de maudire Israël, le devin Balaam est pris par l’Esprit-Saint, se voit empêché de maudire, et ne peut que bénir Israël en disant : « Je vois un astre se lever, pour plus tard. Un roi se lèvera à qui tous les peuples obéiront. » Je vous disais que ce récit est théologiquement de la « dynamite ». En effet, l’accomplissement de ce passage du livre des nombres est tellement énorme que Mathieu n’ose pas le citer textuellement. Il ne peut que sous-entendre que la prophétie du devin Balaam a été gardée par ces religieux païens, jusqu’au temps de l’accomplissement, et qu’ils l’ont même intégrée à leur science astrologique ! Dieu parlerait-il aussi à travers les autres religions ? Cette religion aurait-elle conservé des écrits saints, quelque chose de la promesse d’Israël serait-il contenu dans le dépôt des autres religions ? Mathieu a sans doute conscience que ces questions vont très loin, trop loin.
Par ailleurs, ce récit est hautement polémique. Mathieu écrit au moment où chrétiens et juifs sont encore en train de prier ensemble à la synagogue le jour du shabbat, mais le torchon brûle entre eux. La séparation se fera plus tard, au temps de l’évangile de Jean. Mathieu délivre donc un message hautement polémique : les païens sont arrivés les premiers à la crèche. Ils ont reconnu le Messie avant Israël . Ces païens venus de loin bougent alors que les érudits d’Israël connaissant pourtant la prophétie de Michée ne quittent pas Jérusalem. Comme si Israël s’était fait doublé par les païens sur sa droite ou sur sa gauche. Ce récit est aussi plein d’humour car, vous l’avez vu, l’étoile s’arrête à Jérusalem, le GPS est en panne. Les mages ne peuvent trouver l’enfant que grâce aux Ecritures gardées par Israël. Mathieu délivre donc un message extrêmement fort à ses contemporains: les païens sont en train d’accueillir le Christ ressuscité alors que vous refusez de vous déplacer vers lui. Il va pour ce faire utiliser une cascade de 6 verbes magnifiques décrivant le chemin de foi de ces religieux païens : Regardez comme ces personnes « entrent dans la maison », acceptent d’entrer dans le mystère. Regardez comme « ils voient » Marie, Joseph et Jésus, des visages de gens très simples. Et pourtant, ils « tombent aux pieds » de l’enfant, ils se font petits pour être à la hauteur de Dieu. Regardez comme ils se « prosternent » (ou « adorent ») l’enfant (aucun juif ne se prosternerait devant un autre être humain, pas même devant ses parents. De même qu’un païen ne se prosternera devant personne, hormis devant l’empereur. Dans la Parole de Dieu, le verbe « adorer » est un verbe spécial, un verbe dit « réservé », c’est-à-dire le seul verbe qui ne peut avoir que Dieu comme complément d’objet direct). Regardez comme ces païens « ouvrent leurs coffrets », leur « offrent » ce qu’ils ont de plus précieux, de plus secret, de plus personnel : l’or car je te reconnais comme le roi de ma vie. Je t’offre l’encens, ce parfum que je réserve à Dieu. Mathieu ajoute la myrrhe : reconnais enfin qu’Il a donné sa vie pour toi.
En guise de conclusion, quelle actualisation de ce récit si original pour aujourd’hui? Je mentionnerais seulement une rencontre faite hier matin. Une jeune femme est venue parler baptême. Elle me raconte être venue invitée par un ami à la « messe qui prend son temps » un soir de novembre, alors qu’elle ne connaissait pratiquement rien de toute la révélation chrétienne, venant d’une famille ultra laïque. Mais elle avait certainement un grand désir et durant cette messe, elle a entendu en première lecture ce passage d’Isaïe, Dieu disant : « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime. » En entendant ces paroles, c’est comme si une digue s’était rompue en elle, une sorte de torrent qui ne la quitte pas depuis ce jour, au point de faire 4 jours de retraite. En écoutant cette personne, vous auriez été comme moi, remués dans votre foi, car cette jeune femme ne connait pas les codes, elle n’a pas notre vocabulaire. En l’écoutant, nous sommes comme reliés à la Source. Cette venue des « païens » (avec trois guillemets) est sans doute la chance de notre église. Un signe de Dieu. A nous de le saisir.
Nicolas Rousselot sj
Prière de l’Epiphanie
Comme les mages, mettons-nous en marche même si nous ne savons pas exactement ce que sera l’aventure
comme eux, faisons confiance, levons les yeux vers la lumière qui nous vient d’ailleurs
comme eux, laissons-nous guider par les signes d’une présence
comme eux, offrons des cadeaux : celui de la prière, celui de la justice, de la vérité, du service, de la réconciliation, avec ceux qui sont à nos côtés
comme eux, acceptons d’emprunter un nouveau chemin,
laisse-toi déranger et Dieu te comblera.
Amen