Messe de la Résurrection, Dimanche 4 avril 2021

Retrouvez l’homélie du Père Rousselot sur l’enregistrement de l’office par la Radio RCF, présente avec nous pendant toute la Semaine Sainte, ou en lecture avec le texte ci-après.

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Texte de l’homélie:

Ceux qui nous suivent à la radio, ceux qui ont en mains peut-être un Prions en Église ou un Magnificat, ou encore ceux qui se servent d’une application verront que nous avons rajouté trois lignes, le dernier verset de cet évangile.
Je le relis : « Elles, les femmes, sortirent, et s’enfuirent du tombeau parce qu’elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. Elles ne dirent rien à personne car elles avaient peur. »
Pourquoi ce verset a été omis de la messe de Pâques ?
Je n’ose pas dire censuré.
Sans doute parce qu’il est trop choquant à nos oreilles. Une bonne nouvelle qui provoque peurs et tremblements. Mais dîtes-moi, si on essaye de transmettre l’évangile de Jésus sans nous choquer, qu’allons-nous devenir ? Ça pourrait devenir catastrophique car la question de l’évangile c’est de nous réveiller, de nous remettre en cause, de nous remettre en route chaque matin. Et si nous ne nous étonnons plus, si nous ne sommes plus choqués, nous allons avoir comme dit Charles Péguy une âme habituée. Ce qui est, je le dis tout net, la pire des choses qui puisse nous arriver. Une forme d’Église est en train de mourir à cause de cela.

Ce dernier verset est capital car, disent les spécialistes, il est en fait le dernier verset de l’évangile primitif de Marc, le premier texte. Voilà qui est choquant. Marc ose terminer son grand récit inspiré par la peur et le tremblement. Contrairement à l’évangile de Matthieu, la joie des femmes ne se manifeste pas. Contrairement à saint Luc, il n’y a pas de rencontre avec le Christ ressuscité, ni comme en saint Jean la rencontre à la maison ou au bord du lac.
En Marc, Jésus ressuscité est le grand absent. Tout semble se terminer dans un fiasco : fuite, peur, tremblements et silence.  Elles ne dirent rien à personne. Au point que, au second siècle, on a cru bon d’ajouter une conclusion à l’évangile de Marc. On a remis dix versets pour, entre guillemets, remettre les choses en ordre. Mais de toute évidence, Marc a bel et bien choisi de conclure son grand discours par ce verset en queue de poisson.
Et voilà le cœur de ma prédication d’aujourd’hui, il est capital d’entendre que ces femmes ont été tant secouées par la nouvelle de la résurrection. Au point de perdre tous leurs repères, elles étaient hors d’elles-mêmes, aphasiques, sans voix. Et pour ceux qui auraient besoin d’une confirmation que ces récits sont bien historiques et bien on voit que ça n’a pas été inventé de toute pièce tellement c’est choquant, tellement c’est juste d’une réalité humaine brute de décoffrage. Il s’est passé quelque chose d’énorme, inimaginable, qui a déclenché un moment de panique, de sidération. En fait, on s’est aperçu que ce qui s’est passé jeudi soir au Jardin de Gethsémani pour les Apôtres et le Vendredi Saint, ça se passe aussi le matin de la résurrection pour ces femmes. Les Apôtres aussi ont été pris par la peur qui les a engloutis et, par la fuite, Marc semble nous dire tout nous échappe dans le mystère de Jésus, tout.
Pourquoi Marc termine son grand évangile par cette perte de repères des femmes ? Justement celles qui l’ont suivi fidèlement depuis la Galilée jusqu’au matin de Pâques ?
C’est comme si Marc nous disait : « vous les Chrétiens qui suivent, qui ont formé et qui forment aujourd’hui la communauté chrétienne sachez que nous avons mis un certain temps avant de réaliser la bonne nouvelle de la résurrection. Cela ne s’est pas fait immédiatement, tellement c’était inimaginable. Il a fallu traverser nos peurs même si le Christ est resté après, avec nous après sa résurrection, même s’il y a eu la Pentecôte. Il a fallu, pour nous, relire tout le premier testament pour comprendre. L’inouï a besoin de temps pour que nous devenions ses témoins. »
Je voudrais, dans une deuxième partie, approfondir ce dernier verset de l’évangile primitif de Marc. Notamment quand il dit « ces femmes ne dirent rien à personne » comme si Marc nous disait que nous sommes comme elles. Nous avons besoin de silence et de recueillement pour croire cette nouvelle littéralement incroyable, la laisser percer la coque de noix de nos intériorités.
Marc dit aussi « elles avaient peur ».
Mais peur de quoi ? De rien, du vide, du tombeau. Peur plutôt de l’inconnu. Nous aussi, notre grande famille humaine semble de plus en plus face à l’inconnu. Et aujourd’hui, jour de Pâques, tous les croyants accueillent avec grand bonheur cette parole qui nous est donnée : « Il vous précède en Galilée », la Terre des brassages et des carrefours, c’est évident c’est l’inconnu, c’est risqué mais Il vous devancera.
Et enfin, Marc dit « elles étaient toutes tremblantes » : on peut au premier degré, on pourrait dire en langage familier qu’elles ont la trouille, c’est vrai. Mais il faut aller plus loin. Marc, pour lui, rien n’est au hasard. Il dit « elles sont hors d’elles-mêmes », en grec « ekstasis » ; l’hébreu reprend quelque chose qui est présent dans tout le premier testament, et notamment vous vous rappelez quand Adam est dans un coma au moment de la venue d’Ève : il y a cette torpeur, ou alors celle d’Abraham avant de sceller l’alliance pour toujours avec le Créateur. Et là, ce n’est pas seulement de la peur. C’est le signe corporel, ces tremblements, quand Dieu agît, quand Il s’approche dans un nouveau registre de réalité. Nous les humains, on en est tout secoués. Comment pourrait-il en être autrement ? Alors je ne sais si nous allons devenir bouche bée durant la cinquantaine de jours qui vont venir, qui vont nous apprendre peu à peu à réaliser l’irréalisable. Peut-être que nous allons avoir peur et ce sera une grâce. Peut-être  nous serons hors de nous-mêmes mais au moins nous pouvons dès maintenant demander les uns aux autres, demander au Seigneur la grâce de nous étonner jusqu’à la fin de nos jours de cette irreprésentable, incroyable nouvelle de la résurrection de Jésus.
Et qu’est-ce que nous ferons dans l’autre monde ? Hé bien nous nous étonnerons éternellement.
Alors vous me répondrez « oui nous sommes des humains, les premiers disciples ont eu la chance de rencontrer le Christ ressuscité. Nous allons passer la cinquantaine à relire ses apparitions, notamment au bord du lac, c’est superbe. Mais nous aimerions avoir des images humaines pour comprendre cet incompréhensible, cet irreprésentable.
Pour conclure, je ne résiste pas de vous laisser une image qui me parle. Je la tiens d’un prêtre qui a vécu plusieurs années au Québec. Et nous le savons, autrefois, les bûcherons québécois allaient dans les grandes forêts. Ils partaient des mois pour scier les grands érables et les immenses arbres ; ils avaient inventé des moyens très ingénieux. En amont des cours d’eau, ils construisaient des scieries et puis une fois que les arbres étaient coupés, ils les faisaient descendre dans la rivière. Mais le problème c’étaient les rochers parce que dès qu’un tronc culbutait un rocher il risquait de se mettre en travers et puis en quelques instants il y avait un amoncellement, un énorme barrage de troncs qui se faisait ; et là, impossible de les dégager. Tous les moyens les plus imaginatifs ont été inventés, jusqu’à ce qu’un bûcheron ait une très bonne idée. Qu’est-ce qu’il fit ? Il prit des bâtons de dynamite et il fit péter ce grand barrage et les troncs pouvaient enfin continuer leur chemin.
Alors ce prêtre, dans un fort accent canadien, terminait en disant « Notre Seigneur, hein, Il est venu, Il a pris le barrage comme nous mais Il a fait péter la mort ! »
Il a fait péter la mort.
Accueillons cette bonne nouvelle qui transforme nos vies de jour en jour, d’année en année, jusqu’à notre grand passage.

Amen

Père Nicolas Rousselot Sj