La Fugue de Jésus au Temple
Dimanche 26 décembre 2021
1 S 1, 20-22.24-28; 1 Jn 3, 1-2.21-24; Lc 2, 41-52
Je vous propose de voir ce passage d’évangile en trois temps: tout d’abord voir ce qui est vraisemblable, puis reconnaître ce qui est invraisemblable et enfin voir quel sens ce passage peut avoir pour nous aujourd’hui, en contemplant l’attitude de Marie.
Dans son évangile, Luc ne nous dit rien de l’enfance de Jésus, de sa croissance mise à part cet événement: à 12 ans, il monte à Jérusalem en pèlerinage avec ses parents et les gens de son village et reste au temple à l’insu de ses parents. Cette histoire est vraisemblable. Certes, plusieurs fois nous avons le verbe « chercher », les « 3 jours » font allusion à la mort et à la résurrection de Jésus, qui est perdu puis retrouvé, les disciples l’ont cherché, « on ne savait pas où on l’avait mis ». Les trois jours représentent aussi l’angoisse parentale. Il y a forcément une allusion à l’histoire de Samuel que nous avons entendue en première lecture: désormais la maison de Jésus, c’est le temple, la « maison de son Père ». C’est en tout cas le premier acte personnel de Jésus: comme chacun de nous, il a à se couper de ses parents, mais aussi de la loi juive. Car cet épisode est à la fois vraisemblable – il est tout à fait normal de penser que Jésus ait voyagé avec d’autres pèlerins sans prévenir et qu’il soit resté dans le temple – mais cet épisode est aussi invraisemblable car Jésus transgresse la loi. Lui qui est fils de Dieu, il désobéit à ses parents alors qu’il est prescrit dans la loi d’honorer son père et sa mère. Je me rappelle il y a quelques années maintenant, un père dominicain de l’Ecole Biblique interrogé sur ce passage disait: » Certes il y a beaucoup de reconstructions dans les évangiles de l’enfance mais cette histoire de fugue au temple indique qu’il s’est passé quelque chose et ce souvenir s’est gravé ensuite dans la mémoire de Marie. En effet, il y a quelque chose dans cette fugue d’invraisemblable. Pourquoi donc Jésus a-t-il pu rester 2 jours, sans penser que ses parents se feraient un sang d’encre? Plus fort encore, il ne s’excuse pas, il n’arrive pas à se mettre à la place de ses parents ! Il y a aussi cette opposition des deux pourquoi: « Pourquoi nous as-tu fait cela ? » dit sa mère. « Pourquoi me cherchez-vous ? » réponds Jésus, faisant appel à un secret déjà partagé: « Ne saviez-vous pas? » Sous entendu, rappelez-vous les paroles de Gabriel, d’Élisabeth, des bergers, du vieillard Siméon et d’Anne, comme si Jésus invitait ses parents à apprendre ce qui se passe au fond de son cœur. Mais il y a plus impressionnant, Jésus semble avoir fait exprès de rester au Temple à l’insu de ses parents. Ce n’est pas un simple accident. Il choisit délibérément de ne pas éviter la souffrance de ses parents, comme si celle-ci était nécessaire pour réaffirmer sa liberté d’enfant du Père. Comme si Jésus s’était découvert au Temple « je dois être chez mon Père ».
Maintenant, mettons-nous à la place de Marie pour découvrir le sens que cet évangile peut avoir pour nous aujourd’hui. Tout d’abord, la question douloureuse de Marie : Pourquoi ? Pourquoi ? Et la parole de Jésus plus mystérieuse encore qui met Marie et Joseph en route pour un autre pèlerinage, le pèlerinage de la foi pure. Les parents qui sont ici le savent bien, nos enfants parfois invitent à aller jusqu’au bout de la foi. On dit à la fin de ce passage: » Marie gardait ces événements dans son cœur ». Vous vous rappelez sans doute qu’après plusieurs récits de l’évangile de l’enfance, Luc écrit : « Marie gardait ces événements, les méditant dans son cœur ». Ici Marie ne fait que les « garder » car le sens lui échappe complètement, comme lui a prédit Siméon, une épée commence à lui entrer dans le cœur. Elle comprend seulement que l’avenir sera à la fois heureux et douloureux. Elle ne rejette pas, elle garde ces événements.
Nous qui venons le dimanche écouter la Parole et manger le pain de Vie, souvent depuis des décennies, nous savons finalement beaucoup de choses sur la foi. Mais il y a eu, il y a, il y aura des moments où l’action de Dieu nous étonnera, nous scandalisera même. Mais nous garderons ces événements, sachant qu’un jour, dans ce monde ou dans l’autre, ils s’éclaireront.
P. Nicolas Rousselot sj