Rois, reines et libres

Dimanche 20 novembre 2022

2 Samuel 5, 1-3 ; Psaume 121 (122), 1-2, 3-4, 5-6 ; Colossiens 1, 12-20, Luc 23, 35-43.

Je suis originaire d’une société dans laquelle il n’y a traditionnellement ni chef ni roi. Dans ma culture d’origine il n’existe pas de schèmes et de catégories qui permettent de comprendre totalement ce qu’est un chef ou un roi. D’ailleurs, la langue de mes parents est privée de mot pour dire « chef » ou « roi ». Un tel mot est inexistant. Le groupe ethnique dont je suis ressortissant fait partie de ces sociétés que les anthropologues ont qualifiées d’« acéphales » et dans lesquelles il règnerait une « anarchie ordonnée ». Ayant été élevé dans cet espace culturel, ayant intégré ses normes, son imaginaire et ses représentations, j’ai toujours éprouvé des difficultés à admettre qu’un homme ou une femme puisse commander aux autres et exiger d’eux une totale obéissance.

Le background culturel que je viens de décrire sommairement a prédisposé les membres de mon groupe ethnique à accueillir le christianisme avec enthousiasme et zèle. Il y a chez nous comme une fascination pour la figure du Christ Roi de l’univers. En fait, le Christ est le seul roi dont les gens de chez moi acceptent pleinement l’autorité. C’est certainement parce que l’autorité de ce roi n’est pas politique, économique ou sociale. Elle se situe à un tout autre niveau : elle est spirituelle. De ce fait, le Christ est un roi qui ne nous exploite pas, ne nous domine pas, ne nous asservit pas et ne nous exproprie pas. Il n’exerce pas sa royauté dans une logique de prédation. A la place, Jésus propose un projet de liberté et de libération spirituelles.

Dans la 2e lecture, Saint Paul explique d’ailleurs en quoi consiste cette libération spirituelle annoncée et accomplie par le Christ. Elle consiste à nous arracher « à la puissance des ténèbres », à soumettre les « Puissances, principautés, Souverainetés, Dominations ». En un mot, le Christ veut nous rendre la véritable liberté qui est délivrance du péché. Il veut briser les chaînes de nos addictions, de nos dépendances mortifères, de notre orgueil, de notre soif de pouvoir, de nos égoïsmes, de notre cupidité. Le projet du Christ-Roi est de couper la racine la plus profonde de nos asservissements et de nos souffrances.

En fait, le Christ-Roi propose à chacun et à chacune ici présent de devenir roi et reine. Je pense que c’est aussi cela qui a fasciné les gens de chez moi. En acceptant le Christ dans leur vie, ils ont ouvert la porte de leur cœur à un roi sans sujets qui veut créer une communauté d’égaux. Le projet du Christ vise à faire de nous des rois et des reines tout d’abord, chacun, chacune, pour lui-même ou pour elle-même. Et nous savons qu’il est plus difficile de commander à soi-même que de commander aux autres.

La célébration du Christ Roi nous permet de prendre conscience que nous ne voulons pas être des rois et reines pour nous-mêmes. Nous avons peur de le devenir. Nous préférons être asservis par nos passions, nos faiblesses et notre péché. Nous trouvons plus de joie à exercer notre autorité sur les autres plutôt que sur nous-mêmes. Nous préférons être assujettis plutôt que libres. La fête du Christ-Roi nous met surtout au défi de prendre au sérieux notre vocation à la royauté spirituelle. Elle nous encourage à accepter, comme David et plusieurs élus de Dieu après lui, de recevoir l’onction et à en vivre. Le courage d’intégrer également le fait que la royauté spirituelle et l’onction s’accompagne toujours de la croix. Comme le Christ, nous serons implacablement des reines et des rois crucifiés.

Saint Paul nous dit que le chemin qui mène à la royauté spirituelle ou à l’acceptation de l’onction divine, a pour point de départ la gratitude. « Rendez grâces à Dieu le Père », nous dit Saint Paul. La gratitude envers Dieu est la fondation sur laquelle s’érige la royauté. En cette fin d’année liturgique, qui est aussi la fin du cycle liturgique, il est opportun comme dit le Pape François, de regarder vers le passé « avec gratitude ». Dire sa gratitude à Dieu pour tout ce qu’il nous a permis de vivre ces trois dernières années. Pour les épreuves comme pour les joies et les consolations.

Frères et sœurs, prions pendant cette Eucharistie et demandons à Dieu de faire vraiment de nous un « peuple de rois » et une « assemblée des saints ».

+ Amen.

Jacques Ngimbous, S.J.