L’ASCENSION OU LES DEUX SENS DE LA VIE CHRÉTIENNE
Jeudi 26 mai 2022
Nous avons du mal à voir le sens que cette fête de l’Ascension peut donner à notre vie, elle en semble si éloignée. Pourtant, cette fête est sur saturée de sens. C’est en effet, le moment où le Christ quitte le monde en nous confiant l’annonce de la bonne nouvelle. D’une certaine manière, c’est la fête de notre responsabilité, de notre autonomie. Du côté de Dieu, c’est ce moment extraordinaire où l’un d’entre nous -un humain- est en Dieu. Je voudrais seulement relever ce matin deux points. Tout d’abord, pourquoi Jésus a-t-il choisi le lieu de Béthanie pour nous quitter ? Puis comment le premier Testament peut-il éclairer la fête d’aujourd’hui, notamment la figure du prophète Élie et celle du grand prêtre ?
Pourquoi donc Jésus a-t-il choisi ce lieu de Béthanie ? Il aurait pu en effet quitter ce monde sur les bords du lac de Tibériade, là où tout a commencé, ou encore au beau milieu du Temple, quittant le monde de façon grandiose. Non, il choisit l’endroit où il fut le mieux accueilli, là où l’humanité s’est montrée sous son meilleur jour. Il est dit dans l’évangile de Jean : « il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu », sauf à Béthanie, dans la maison de Lazare, Marthe et Marie, le lieu de l’humanité profonde. Il faut se souvenir que c’est aussi à Béthanie que Jésus est monté sur le petit âne pour se présenter comme le roi de paix le jour des Rameaux. Il fut acclamé par une foule en liesse et par ses disciples, descendant à Jérusalem et entrant tel le Messie dans le temple. Par la suite les événements ne se sont pas déroulés exactement comme les disciples les avaient prévus… Jésus dut affronter la violence et la mort la plus innommable. Le jour de son Ascension, Jésus invite ses disciples à faire cet itinéraire du jour des Rameaux, de Béthanie à Jérusalem, cette fois-ci dans une joie que personne ne pourra leur ravir, en se rendant au temple avec cette certitude : la croix n’est pas l’échec de Dieu mais le « jusqu’au bout du don de Dieu ». Les voici donc dans une joie que rarement ils ont connue. Rappelons-nous aussi que St Luc inaugure la vie publique de Jésus au temple, lorsqu’il fut béni par le vieillard Siméon, dans les bras de ses parents. Dans l’Évangile, rien n’est laissé au hasard : Luc termine son évangile au temple, les apôtres à leur tour, bénissant le Père pour le don de Jésus. La bénédiction, nous en prenons conscience, traverse tout le récit : Jésus quitte les siens en les bénissant. Pour Luc, pas de doute : Jésus est le véritable grand prêtre. Comme lors de la fête du Yom Kippour, celui-ci entrait pour la seule fois de l’année, dans le Saint des Saints, lieu de la demeure de Dieu. Il bénissait alors la foule des fidèles, bénédiction qui était très attendue. En son Ascension, Jésus entre dans le monde de Dieu, il nous bénit pour que nous portions cette bénédiction venue du Père à tous nos frères. Ce récit semble loin de nos vies concrètes, mais il nous donne une définition parmi les plus belles de la vie chrétienne. Celle-ci peut être vue comme une circulation de bénédictions.
En plus de cette bénédiction du Yom Kippour, Luc pense aussi à un passage bien connu des Écritures, celle de l’ascension d’Elie. Contrairement aux autres évangélistes qui pensent que Jean Baptiste est le nouvel Elie, Jésus, en St Luc, est le véritable Élie qui a été emporté dans le monde de Dieu, et qui reviendra car sa mission n’est pas achevée. Si vous vous souvenez du Livre des Rois, Élie avait un disciple préféré nommé Élisée et voulait lui transmettre sa part d’autorité avant de quitter ce monde. Il lui disait : quand je partirai regarde-moi, fixe moi afin que tu puisses entrevoir l’autre monde. Le jour J, Elisée surprend son maître le quitter, a juste le temps de l’apercevoir et reçois son manteau, signe de son autorité. Il en fut de même pour les apôtres le jour de l’Ascension. Ils regardent Jésus afin de recevoir la plénitude de l’Esprit de prophétie, Comme Elisée est revêtu du manteau d’Elie, ils sont transformés par l’Esprit et investis le jour de la Pentecôte. Pour bien comprendre cette fête de l’Ascension, une image certes limitée, peut nous aider, celle de la révolution copernicienne. Autrefois, comme nous pensions que le soleil tournait autour de la terre, nous avons vu Jésus accomplir son itinéraire parmi nous. Ayant découvert que la terre tournait autour du soleil, celui-ci représente Jésus ressuscité, assis à la droite de Dieu, invisible et réellement présent à tous ces disciples qui accomplissent leur itinéraire. D’où cette joie imprenable des apôtres après l’avoir quitté. D’où cette 2ème définition de la vie chrétienne : accomplir son itinéraire sans jamais être seul(e). Cette expérience, nous l’avons je l’espère tous, faite un jour. Elle est aussi ce qu’attendent -secrètement- tous nos contemporains : ne jamais se retrouver seul(e).
Nicolas Rousselot sj