Guides d’Espérance

 

Dimanche 27 février 2022

 

Lc 6,39-45

 

Je voudrais revenir sur les trois paraboles, ou plutôt les trois allégories que nous venons d’entendre : l’histoire des deux aveugles, celle bien connue de la paille et de la poutre et enfin celle de l’arbre bon qui porte de bons fruits. Je voudrais donner une interprétation essayant de trouver une sorte de fil rouge entre ces trois histoires qui semblent se juxtaposer les unes aux autres. Mais si Luc les a mis ensemble, c’est qu’il y a un sens !

Tout d’abord l’histoire des deux aveugles qui tombent tous les deux dans un trou. Celle-ci fait partie du sens commun : les personnes non-voyantes ne peuvent se guider toutes seules. Il faut à leurs côtés des guides sûrs et lucides. Cette histoire raconte la-nôtre. En effet, nous avons grandi, nous sommes devenus ce que nous sommes grâce aux guides de nos familles, puis au moment de l’adolescence et lorsque nous étions jeunes adultes grâce aux guides, peut-être même aux maîtres, qui nous ont montré le chemin. S’ils ont été des maîtres, ils ont été avant tout des témoins.

Ce qui manque le plus aujourd’hui pour la jeunesse, ce ne sont pas des influenceurs, mais de véritables guides. Quelqu’un a dit que notre jeunesse était « orpheline de témoins » pour demeurer dans l’espérance. Tous ceux d’entre nous qui fréquentent régulièrement la jeune génération, nous sentons croître d’année en année, notre responsabilité envers eux. Notre responsabilité de les accueillir avec bienveillance, mais aussi de leur délivrer une parole de sagesse, une parole forte et profonde qui les marque.

Or, Jésus nous dit : tu es devenu mon disciple, tu suis mon enseignement de dimanche en dimanche. Mais Jésus dit aussi: si tu es devenu disciple, tu suis mon enseignement, pour toi mais pour ensuite guider les autres, les plus jeunes. Sache aussi que si tu deviens un guide, tu resteras comme ton maître, tu ne seras pas au-dessus du maître. Cette remarque semble banale mais elle est nouvelle pour l’environnement culturel de Jésus. Effectivement à cette époque, le disciple suit l’enseignement du maître en vue de le dépasser un jour. Au temps de Jésus et surtout après, on disait : « Rabbi un tel à dit ceci, Rabbi un tel a dit cela, et voici mon interprétion qui dépasse les deux autres ». Vous avez sans doute en mémoire la fameuse statue de la cathédrale de Chartres où on voit une sorte de nain ainsi sur les épaules d’un géant. La statue réprésente la tradition, avec l’idée que je suis un nain vis-à-vis de ceux qui m’ont transmis la sagesse, mais je suis juché sur leurs épaules , sous-entendu, je vois plus loin qu’eux. Eh bien Jésus s’inscrit en contre. Si tu deviens un jour un guide pour les autres, sache que tu resteras toujours un disciple. N’oublie pas que ton maître a lavé les pieds de ses disciples le soir du jeudi saint. Il a toujours été à l’école de son Père. Et comme saint Luc écrit après la résurrection, c’est comme s’il nous disait : tu seras comme ton maître, n’oublie pas qu’il est mort par amour sur une croix.

Nous trouvons donc devant cette problématique : on me demande de devenir un guide mais comment avoir une parole forte puisque je resterai toujours un disciple ? La réponse de la parabole de la paille et de la poutre est simple : comme disciple, tu ne seras pas aveugle mais tu ne verras que d’un œil, l’autre ne pourra pas voir à cause soit d’une paille, soit d’une poutre. Mais si tu dis à ton disciple : « laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil. » Pauvre de toi, tu ne verras pas la poutre qui est dans ton œil à toi. Un brin de paille dans l’ œil peut faire pleurer ou cligner de l’ œil. On s’en aperçoit. Mais la métaphore de la poutre renvoie quant à elle à une expérience inimaginable, inconnue, un aveuglement inconscient, un « point aveugle » diraient les gens de la psychologie, que nul ne peut découvrir par lui-même mais que seule une autre personne qui n’est pas aveugle peut nous révéler. Au moment où Luc écrit, il pense bien sûr à la poutre de la croix. Notre humanité ne voit pas qu’elle a crucifié un jour le Christ, et qu’elle le crucifie de nouveau chaque fois qu’elle refuse l’Esprit Saint.

Ainsi la problématique avance : est-il possible d’être un guide pour les autres en ayant une parole forte et profonde alors que notre regard ne sera jamais parfaitement clair ? Le récit nous mène alors vers une autre parabole, celle de l’arbre fruitier. Soit l’arbre est sain et il porte de bons fruits ; soit l’arbre est parasité et il porte de mauvais fruits. Il y a une logique imparable dans cette parabole. Déjà Matthieu avait dit : on juge l’arbre à ses fruits. Impossible de changer un à un les fruits au bout des branches. On considère les faits et on en tire les conclusions. Ici Luc en rapportant les paroles de Jésus, semble aller plus loin : c’est le bois et la sève qu’il faut convertir. Le fruit révèle l’intériorité. C’est le lieu du cœur qu’il faut convertir pour avoir de bons fruits. Nous qui écoutons chaque dimanche la parole et prenons le pain de l’Eucharistie, nous essayons de dire et de faire le bien, d’éviter le mal. C’est notre première étape. Nous voici désormais arrivés à la 2ème étape, à la purification de notre intériorité, à la purification de nos intentions. Car nous savons d’expérience que nous pouvons dire de bonnes paroles, faire des choses extérieurement bonnes, mais nos intentions ne sont pas toujours au rendez-vous de la cohérence.

Nous entrons mercredi dans le carême au moment où l’Europe entre dans une période plus qu’incertaine. Lorsque quelque chose a été cassé humainement, il faut beaucoup de temps, parfois des décennies, pour recoller les morceaux. Spécialement auprès de la jeune génération, nous sommes appelés à devenir des guides d’espérance. Nous nous rappelons que nous sommes toujours des disciples qui ne voyons que d’un œil, ce qui nous permettra de nous garder de tout jugement. Nous voyons bien aussi que faire le bien, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant. Plus que jamais, le temps est venu de la purification des intentions pour devenir de véritables artisans de paix. Amen

 

 

Nicolas Rousselot, sj