L’incroyable Force Intérieure de Jésus
Dimanche 3 avril 2022
Jn 8, 1-11
Nous connaissons bien cette scène. Nous avons entendu déjà des dizaines de commentaires car cette scène est inépuisable, car s’exprime le mystère de la force intérieure de Jésus. Je vous propose de la méditer en faisant surtout référence au contexte du 1er testament ou ancien testament. C’est à mon avis sous cet angle que cette scène s’éclaire vraiment.
Plantons le décor : Les scribes et les pharisiens, c’est la seule fois dans l’Évangile où on les voit agir ensemble. Ils sont unis car ils sont habités par une même intention : celle de confondre Jésus. Ils ont trouvé un prétexte en allant surprendre une femme adultère. Ils brandissent la loi de Moïse mais manifestement, si on regarde de près, ils ne l’ont pas lu jusqu’au bout. Lévitique 20,10 et Deutéronome 22,22-24: « Quand un homme commet l’adultère avec la femme de son prochain, ils seront mis à mort, l’homme et la femme adultère ». Or, nous l’avions remarqué, manifestement le mari n’est pas là pour accuser, l’amant non plus n’est pas là pour être condamné avec elle.
Les pharisiens arrivent bruyamment et plein d’invectives. Ils placent cette femme au centre de l’assemblée assise autour de Jésus. Ils interpellent Jésus en l’appelant Maître, mais ne respectent pas du tout ce groupe qui écoute Jésus. Leur regard doit en être rempli de mensonge et de haine.
Jésus a vu leur arrivée sans gêne, il a vu comment cette femme était traitée, instrumentalisée. Il voit ces regards remplis de haine et de violence. C’est la seule scène de l’Évangile où quelqu’un est en danger de mort violente. Que va-t-il se passer ? Va-t-il se lever, faire front ? Va-t-il défendre cette femme avec de bons arguments, prendre à témoin la foule présente ? Va-t-il discuter de la loi de Moïse dans laquelle on parle bien de deux personnes en état d’adultère ? Non, Jésus se baisse et écrit sur le sable. Jésus ne regarde pas les pharisiens, mais le sol. En effet, s’il les regarde, il n’a que deux solutions : ou il les regarde en se taisant, ce qui équivaut à un acquiescement car le regard « prend » ce qui lui est envoyé. Ou il les regarde en parlant, et alors cela va déclencher une spirale de discussion sans fin, un duel frontal où personne ne s’écoute, où la vérité ne pourra pas triompher.
Donc Jésus ne les regarde pas, il se fait tout petit et laisse passer les flots de violence au dessus de lui. Son attitude corporelle est le contraire d’une fuite, le contraire aussi de la suffisance ; elle montre la force intérieure de l’humilité qui ne laisse pas prise au mal.
Et il écrit sur le sol, une écriture dérisoire qui pourrait s’effacer d’un revers de la main , mais nous avons là quelque chose de très intéressant que nous apporte le 1er testament.
On ne dit pas qu’il dessine. On dit : « Jésus écrit avec son doigt sur la terre » (littéralement : il écrit du doigt)
Dans la bible, l’expression « écrire du doigt » revient seulement deux fois : dans le livre de l’Exode ch. 31, au Sinaï, lorsque Dieu écrit la loi de Moïse sur les tables de pierre, et en Dn 5,5, lorsqu’un doigt mystérieux – le doigt de Dieu- écrit sur le mur la condamnation du tyran perse Balthasar. Dans les deux cas, c’est Dieu qui écrit du doigt. Ces réminiscences nous donnent la clé de ce passage. Lorque les scribes et les pharisiens mettent la pression sur Jésus face à la loi mosaïque, d’ailleurs incomplète, Jésus écrit sur la terre la loi nouvelle de son Père: amour et pardon.
Jean décrit Jésus non seulement accroupi mais aussi en mouvement. Il s’abaisse et se relève deux fois. Comme pour symboliser le mouvement d’abaissement de son incarnation, de sa mort et le relèvement de sa résurrection.
Le temps passe, et les pharisiens insistent. Ils ont jugé cette femme, d’ailleurs sans autre forme de procès, ce qui est une fois de plus, contraire à la loi, et ils sont prêts à la lapider. Leurs cœurs sont durs et leurs visages plein de rage. Jésus reste assis, il ne veut ni juger, ni condamner, pas plus cette femme que ces hommes. Il se lève et leur dit cette phrase devenue si célèbre : « que celui qui n’a jamais pêché lui jette le premier une pierre ». Pourquoi cette phrase a-t-elle autant de puissance ?
Là aussi, le premier testament nous donne une clé décisive pour comprendre ce qui se passe :
Quand un homme et une femme étaient pris en flagrant délit d’adultère, il suffisait de la sincérité de deux témoins pour convaincre la cour de la véracité du fait.La sentence pouvait être aussitôt prononcée. Mais la torah stipule que sur les témoins reposait quand même une énorme charge de responsabilité. C’était à eux d’inaugurer la sentence en jetant les premières pierres. Eux-mêmes ne devaient en aucun cas être impliqués par le délit, et n’avoir aucun antécédent avec la justice . Sinon, ils risquaient d’être condamnés voire lapidés, payés en retour du prix qu’ils exigent.
D’où la force de la parole de Jésus, comprise aussitôt par tous: que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ! Et Jésus s’accroupit de nouveau. Il ne les regarde pas pour les laisser libres de partir ou de rester, pour qu’aucun d’entre eux n’interprète son regard comme un regard de condamnation. C’est la conscience qui les juge, et ils s’en vont tous !
Puis nous comprenons mieux la phrase qu’il dit à la femme : « Femme où sont-ils (les témoins) ? Personne ne t’a condamnée. » Personne ne va jeter la pierre, puisqu’il n’y a pas de témoin, tu es donc libre. Jésus est le témoin de son Père qui connait tout mais ne condamne pas. La femme devient à son tour la 2ème témoin, celle de la miséricorde.
Mais, là aussi ce n’est pas un hasard, à la fin de ce chapitre 8 de St Jean on dit : on ramassa des pierres pour les lui jeter. Comme si Jésus avait pris la place de cette femme.
Je ne prendrai pas ce dimanche de temps pour actualiser ce passage, tellement la force intérieure de Jésus qui démasque le péché tout en montrant la miséricorde est impressionnante. Restons quelques instants pour la contempler.
Nicolas Rousselot, sj