Je suis la Vigne

Dimanche 2 mai 2021

Jean 15, 1-8

Nous connaissons bien cette parole de Jésus sur la vigne, mais si vous le voulez bien, nous allons l’entendre, comme si nous l’écoutions pour la première fois. Prenons d’abord cette phrase:  “Je suis la vigne.” Plusieurs fois, dans l’évangile de Saint Jean, nous trouvons l’expression :  “JE SUIS”» qui rappelle de façon précise la première révélation de Dieu à Moïse dans le buisson ardent. Dieu y révèle son nom mais ce nom est imprononçable, insaisissable, intraduisible en français. Nous le traduisons tant bien que mal par “je suis qui je suis” ou “ je suis qui je serai”, c’est-à-dire, « je vous révélerai qui je suis en marchant avec vous. » Plus précisément, nous repérons qu’en Saint Jean, revient sept fois (et ce n’est pas un hasard) l’expression “JE SUIS” avec une image souvent prise de la nature, comme si Jésus voulait se faire connaître de ses disciples de manière plus saisissable: Je suis « pain de vie, je suis la lumière du monde, je suis la porte, je suis le bon berger, je suis la résurrection et la vie, je suis le chemin, la vérité et la vie » et enfin en dernier: « Je suis la vigne et vous êtes les sarments ». Qu’a-t-elle de particulier cette dernière image que nous écoutons aujourd’hui ? Autant dimanche dernier, dans l’expression “ je suis le bon berger et vous êtes mes brebis”, nous comprenions qu’il fallait entendre la voix du Bon Berger pour le suivre en restant sur la même longueur d’onde, avec le risque pour les brebis de se disperser et perdre de vue le Bon Berger, si l’écoute profonde n’est pas là. Autant aujourd’hui, Jésus enfonce le clou en disant que le lien entre lui et nous est indestructible, indéracinable comme la vigne liée à ses sarments. Or ce qui est paradoxal, c’est que Jésus prend cette image quelques dizaines de minutes, voire une ou deux heures, avant que les apôtres ne s’enfuient, ne se dispersent dans la nature, quand Jésus est arrêté au jardin des Oliviers. Approfondissons le thème. 

Dans l’histoire de l’humanité, peu de cultures dépendent autant du travail attentif de l’homme que la vigne. On dit que le viticulteur ne cultive pas sa vigne, mais il la « soigne » . Son travail attentif exprime pour les anciens l’amour inimaginable que Dieu a pour l’humanité. Et le vin, fruit de la vigne, chez les anciens est le symbole de l’amour, ce qui est très facile à comprendre. A l’époque, le vin était très épais avec un fort taux d’alcoolémie; on en buvait peu, seulement aux fêtes. Et il suffisait d’en boire un peu pour être « transporté ». Les anciens disaient : l’amour, c’est comme le vin, ça « transporte » ! C’est pour cela que Jésus le soir du Jeudi Saint a pris le vin pour exprimer l’immense amour que le Père transporte pour chacun de nous. Chez les prophètes comme Isaïe, Jérémie ou Ézéchiel, la vigne représente Israël. Dieu soigne, prends soin de son peuple ; malheureusement, la vigne donne de mauvais raisins et donc un mauvais vin. Au bout du compte, on assiste à l’arrachage de la vigne. Or Jésus, au moment de livrer sa vie, va faire pivoter l’image. Il dit : « je suis la vigne ». Ce n’est plus Israël. Ou plutôt, Jésus dit oui au nom d’Israël. Et il n’est plus question d’arrachage. Ou plutôt, Jésus va être arraché à la vie par les représentants du Vigneron, d’ici quelques heures. 

Approfondissons encore le thème, car la traduction francophone n’est pas exacte. Dans le texte grec, Jésus ne dis pas : « je suis la vigne », mais « je suis le cep et vous êtes les sarments. » Lui et nous formons la vigne. Paul dira plus tard la même réalité sous une autre image : « Nous sommes le corps du Christ, nous sommes le corps dont il est la tête. » De plus, il existe un non-dit dans l’allégorie qui est central, c’est la sève, celle-ci circule à partir du cep jusqu’au sarments. Elle permet de « demeurer », le mot préféré de Saint-Jean qui signifie « être bien, rester, demeurer, au point de ne pas vouloir partir ». C’est le verbe de l’éternité qui commence ici-bas. C’est l’image de l’Esprit Saint.

Mais approfondissons encore, car l’allégorie a un versant nocturne. Jésus parle en effet des sarments qui sont élagués, émondés, nettoyés. Les viticulteurs en effet expliquent qu’il y a 2 sortes de bourgeon sur les sarments. Il y a des bourgeons pointus qui ne donneront pas de belles fleurs et donc pas de bons fruits. Ceux-là, il faut les couper serrés. Et il y a des bourgeons plus charnus qui produiront de belles fleurs puis de bons fruits, donc il faut les garder, plus exactement faire en sorte que la sève vienne jusqu’à ces bourgeons. Eh bien, c’est ce que fait le Père quand Jésus dit qu’il va émonder le sarment pour porter un meilleur fruit. Quelqu’un disait : « Ce texte n’est pas marrant. Il y a le feu purificateur, ce Dieu Providence qui nous envoie des épreuves et dans tous les cas, tous ces coups de sécateur et ça taille très court ! ». Comment comprendre ce visage de Dieu qui à la fois soigne sa vigne et qui la taille sans ménagement ? Rappelons-nous que c’est d’abord le cep qui est taillé très court. Dans quelques heures, Jésus sera arrêté par les grands prêtres, ceux qui se croient représentants du vigneron. Mais une des grandes questions de nos vies est de savoir où est Dieu lorsqu’arrivent les épreuves, s’il lui arrive de cesser d’être provident, tellement c’est taillé court. Jésus est dans cette allégorie de la vigne, est en train de dire à ses amis ce qui va arriver : « la toute-puissance de mon père est de profiter des événements qui taillent pour faire conduire la sève, si nous le voulons, à un endroit qui portera un grand fruit. Sa toute-puissance est de transformer le mal en bien.

Je vous laisse pour conclure avec deux phrases un peu extrêmes qui illustrent ce grand enseignement si difficile. Il s’agit tout d’abord d’un homme dont j’ai entendu parler il y a quelques jours. Cet homme s’était marié, avait fondé une famille. Malheureusement, sa femme vint à tomber malade et décède. Il est donc veuf, peu à peu, il réussit à se rétablir puis le temps passant, rencontre une nouvelle personne et refait sa vie. Malheureusement, au bout de quelques années, cette femme décède elle aussi après une maladie foudroyante. Cet homme a été taillé vraiment très court. Le voilà un peu plus de la soixantaine ; devenu veuf deux fois. C’est très impressionnant. Il paraît que cet homme continue à suivre son chemin, sa vie est mystère mais croyons qu’elle portera un fruit certain. Voici une citation d’une autre personne qui a vécu une vie impossible. J’ai appris par cœur cette phrase lue il y a quelques années, tellement elle est paradoxale : « Je ne souhaite à personne, même pas à mon pire ennemi (à supposer que j’en ai un) de vivre ce que j’ai vécu. Pourtant, je ne voudrais à aucun moment changer cette vie pour une autre. ». Ces deux phrases illustrent cette parole de Jésus sur la vigne, tellement exigeante, mais tellement espérante. Amen

Prière universelle

Père, toi que Jésus nomme le vigneron, prends soin de nous, prends soin de notre monde, prends soin de ton Église.

Nous te prions Seigneur pour les sept diacres qui viennent d’être ordonnés ce samedi en notre église Saint Ignace. Qu’ils soient tout d’abord de bons « sarments » reliés à toi,

pour que la vigne en tout pays du monde, porte ses meilleurs fruits.

Jésus, fils de Marie, exauce-nous !

Refrain : Jésus, fils de Marie, exauce-nous

  • Nous te prions Seigneur, pour les pays et les églises en grande difficulté ;
    en particulier pour le Brésil et l’Inde, très durement touchés ces semaines dernières par le mal que nous savons. Nous te prions particulièrement de prendre en pitié tous les pauvres de ces pays. Jésus, fils de Marie, exauce-nous !
  •  Seigneur, viens nous aider dans nos combats spirituels, à couper, à rejeter ce qui doit être rejeté dans nos vies : Tout ce bois sec, tout ce bois mort qui nous empêche de vivre libres, et qui nuit à ceux qui vivent autour de nous. Donne-nous tantôt une grâce de lumière pour repérer ce bois sec, tantôt une grâce de détermination ou de courage, pour le couper. Jésus, fils de Marie, exauce-nous !
  • Seigneur nous te confions ceux qui se sentent trop émondés par les épreuves de la vie et qui t’en veulent, se sentant abandonnés par ta Providence. Que ton Esprit, et aussi notre pauvre présence, les aident à saisir que leur épreuve n’est pas fatale et qu’elle peut même porter un fruit, selon la parole de ce jour. Jésus, fils de Marie, exauce-nous !

Père, nous croyons au soin que tu nous prodigues sans cesse, en ton fils Jésus ressuscité qui nous rejoint en cette eucharistie, notre cep, pour les siècles des siècles.

P. N. Rousselot sj.