Quand Paul catéchise les Corinthiens

 

Dimanche 6 février 2022

 

C 1 Co 15, 12.16-20

 

Une fois n’est pas coutume, je commenterai aujourd’hui non pas l’Évangile mais cette lettre aux Corinthiens que nous venons d’entendre en seconde lecture. C’est un texte capital car il nous montre comment la bonne nouvelle transmise par ces premiers disciples qui ont tout quitté pour suivre Jésus a été reçue par la première communauté chrétienne. Nous avons en effet dans cette lettre un trésor : le condensé du Credo que nous allons proclamer tout à l’heure. Nous avons aussi des témoignages collectés par Paul sur les apparitions de Jésus ressuscité, certains étant assez déconcertants, nous allons le voir.

Nous connaissons par cœur l’histoire hors du commun de Paul, sa conversion soudaine sur le chemin de Damas, alors qu’il partait harceler les chrétiens. Après sa conversion, Paul passa de longues années dans l’Église d’Antioche l’actuelle ville d’Antakya en Turquie. C’est là qu’il fut catéchisé. Dans cette lettre qu’il écrit en 56, alors que ces Corinthiens en bon grecs, croient en l’immortalité de l’âme mais refusent de croire en Jésus ressuscité, Paul leur répond en s’appuyant justement sur le credo qui était en usage dans la communauté d’Antioche. Les spécialistes repèrent même dans ce credo des traces de la langue araméenne, signe que cette confession de foi porte la marque de la communauté de Jérusalem. Paul la cite : « Je vous ai transmis en premier lieu ce que j’avais reçu moi-même (sous-entendu, à Antioche) : Christ est mort pour nos péchés selon les écritures. »

Ce credo évoque quatre éléments de la vie de Jésus : mort – enseveli – ressuscité – apparu. On trouve les grandes oppositions vie/mort mais dans le sens inverse de la normale : ce n’est pas la vie qui mène à la mort, c’est la mort qui est vaincue par la vie. Et pour enfoncer le clou, il ajoute une autre opposition : il est enseveli et il est apparu. On aurait dû dire en rigueur de thème qu’il a été mis au tombeau plus exactement sur une banquette d’embaumement, mais les anciens ont préféré le verbe « ensevelir », sans doute en mémoire de l’image de la semence: « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas il reste seul, mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits ». Et là, le clou est encore plus enfoncé pour proclamer la victoire : Jésus est vraiment mort car il a été enseveli, il est vraiment ressuscité car il est apparu aux disciples.

Il s’ensuit une liste impressionnante de témoignages. Paul cite six occasions où le Seigneur a été vu ressuscité. je vais les commenter brièvement en m’arrêtant sur quelques-uns :

« Il est apparu à Pierre. » : Nous n’avons pas la description de la rencontre mais elle est attestée en Luc, lorsque les pèlerins d’Emmaüs retrouvent essoufflés les apôtres à Jérusalem qui leur disent : « Il est vraiment ressuscité, il est apparu à Pierre ! ». Après sa trahison, cette rencontre pour rassembler le troupeau était vraiment bienvenue. On imagine la scène, quelle émotion ! Et on se rappelle aussi cette phrase énigmatique de Jésus à Pierre le soir du Jeudi Saint : « Quand tu seras revenu, affermis tes frères. »

Et puis cela se corse. Paul écrit : « Il est apparu à plus de 500 frères à la fois. La plupart sont encore vivants et quelques-uns sont endormis dans la mort. » Qu’est-ce que Paul raconte ? À aucun endroit de l’Évangile, cette méga apparition n’est mentionnée. Or si celle-ci avait été une légende, Paul aurait immédiatement perdu toute crédibilité devant ses lecteurs de Corinthe car il parlait sous l’autorité de centaines de témoins. Pourquoi cette apparition n’est pas mentionnée dans les évangiles ? Mystère. Dans les évangiles les apparitions sont le fait de quelques témoins, les femmes disciples et les douze. Un cercle intime d’où partira la grande expansion lors de la Pentecôte.

Paul parle ensuite d’une apparition à Jacques qui n’est pas mentionnée, mais il oublie ou il omet la première apparition de Jésus aux femmes disciples, plus particulièrement à Marie de Magdala. Pourquoi cette omission ? Mystère. On sait que si le récit des apparitions avait été inventé, on aurait jamais rapporté le témoignage décisif des femmes disciples tellement celui-ci était contre culturel, dans le droit juif, le témoignage des femmes n’étant pas pris en compte dans les tribunaux ou dans les évènements officiels. Paul doit être encore tributaire de la culture de son temps…

« Ensuite, il est apparu à l’avorton que je suis ». Le mot « avorton » a deux sens. Il s’agit tout d’abord du bébé à peine reconnaissable au jour de sa naissance, juste sauvé de la mort, né au forceps. Paul pense à la nouvelle naissance de son baptême, la façon dont le Christ l’a tiré au forceps de la violence et du fanatisme anti-chrétien. Mais au temps de Paul, le mot « avorton » désigne aussi les moments tragiques de la naissance où le bébé nait mais où hélas, la maman décède. C’est très certainement ce que ressent Paul lorsqu’il emploie le mot : je suis né au moment où je provoquais la mort de ma mère l’Église. Paul s’écrie : « Je ne mérite pas d’être appelé apôtre car j’ai persécuté l’Église de Dieu »… mais il se met quand même sur la liste. Il a un sacré toupet. Il ajoute : « j’ai travaillé plus que les autres apôtres ».

Il nous agace un peu Paul, mais nous l’aimons car nous avons envers lui une dette infinie. C’est lui qui nous a fait comprendre que les promesses faites à Israël, accomplies en Jésus sont destinées au monde entier. Les apôtres que nous voyons tout quitter dans l’Évangile pour suivre Jésus nous ont transmis le message. Mais il manquait quelqu’un. Il manquait Paul qui nous a fait faire un pas décisif.

Comme hier, on peut dire aussi qu’il manque aujourd’hui quelqu’un pour notre Église. Il nous manque des prophètes. Il nous manque des nouveaux Paul, de nouvelles Marie-Madeleine. Prions en cette eucharistie pour que ces prophètes adviennent sans tarder. Amen

 

Nicolas Rousselot, sj