ENTENDRE LE BON BERGER

 

Dimanche 8 mai 2022

 

Dans les catacombes de Rome, parmi les premières représentations du Christ sur les fresques murales, il y en a une qui semble remporter tous les suffrages, c’est l’image du Bon Berger. Celui-ci est représenté comme un beau jeune homme vigoureux, habillé à la grecque, portant une brebis sur ses épaule qui relève la tête et qui semble très à l’aise. Certains historiens expliquent que cette représentation est la copie conforme d’Orphée le dieu champêtre, mais les historiens qui sont aussi théologiens ajoute qu’une double lecture existe, comme un langage codé. Le visage jeune imberbe du Bon Berger, resplendissant de santé et de beauté, c’est le Ressuscité, celui sur qui l’usure du temps n’a pas de prise. Pour les premiers chrétiens de Rome qui d’une certaine manière sont nos ancêtres dans la foi, la bonne nouvelle réside dans le fait que chacun soit en bonne place, juché sur les épaules du Christ, bien sûr au moment de traverser la mort -nous sommes dans les catacombes- mais aussi à chaque moment de la vie. Les anciens lisaient exactement l’évangile d’aujourd’hui : « Jamais les brebis ne périront, personne ne les arrachera de la main du Père ». L’assurance de la sécurité d’être dans la main du Père les faisaient vibrer, à cause des persécutions.

Bien sûr, en voyant le bon berger, ils se pensaient comme brebis perdues. Ils avaient en tête le Psaume 22 du Bon Berger qui est, avec le Magnificat, notre « Marseillaise » : « Si je traverse les ravins de la mort je ne crains aucun mal ». Mais ils pensaient aussi en lisant le texte d’aujourd’hui à l’intimité qui peut s’établir entre le bon berger et chacune des brebis. Celles-ci ne sont pas toujours sur les épaules du berger, elles ont à vaquer à leurs occupations quotidiennes, à transformer le monde. Mais le berger les connait, car elles écoutent sa voix, elles restent sur la bonne fréquence, malgré les occupations.

C’est aujourd’hui la journée mondiale des vocations. J’ai demandé à l’un de nous dans la communauté de nous parler de la façon dont il a entendu la voix du Bon Berger pour répondre à l’appel. Merci Ulysse.

Nicolas Rousselot sj

Chers frères et sœurs, bonjour,

Je m’appelle Ulises, ou Ulysse comme on dit ici en France. J’aime bien ça.

Je suis né au Mexique et j’ai grandi aux États-Unis à Los Angeles.

Je suis entré dans la Compagnie de Jésus, c’est-à-dire les Jésuites en 2014, et je suis en France depuis juillet de l’année dernière pour faire mes études de théologie au Centre Sèvres. C’est la dernière étape avant l’ordination. Alors si tout va bien, je serai ordonné diacre en 2024 et prêtre en 2025.

Dans l’évangile d’aujourd’hui Jésus nous dit : « Mes brebis écoutent ma voix. »

Et c’est ça la vocation : écouter la voix du Christ.

La voix humaine. C’est un don précieux de Dieu.

La voix est le véhicule de nos pensées, de nos sentiments, de nos désirs. C’est un moyen de communication et de communion.

Chaque mot qu’on prononce, c’est le résultat de toute une histoire, toute une vie affective.

Je pense que tout le monde peut penser à une voix qu’on aime entendre ou une voix qu’on aimerait entendre à nouveau.

Alors, comment c’est la voix de Jésus ? C’est à nous d’écouter comment est-ce qu’il nous parle.

Mais on peut dire qu’on entend sa voix dans les écritures, dans la prière, et très souvent à travers les autres.

Moi, je pense à la voix de ma mère, une femme avec une foi inébranlable. Bien qu’elle fût toujours très attentive à ses enfants, cela changeait dans l’Église. Je me souviens que quand j’étais petit, je voyais, j’entendais ma mère prier et chanter de tout son être.

Dans ces moments-là, il y avait quelqu’un que je ne pouvais pas voir qui était plus importante, plus digne de l’attention et du cœur de ma mère.

Qui était-ce ? Je pense que ce mystère a été la graine de ma vocation.

J’avais 14 ans quand j’ai exprimé mon désir pour la prêtrise. Mais il y avait aussi d’autres voix.

La voix du rêve américain avec ses promesses de succès et de bonne vie.

Bien que j’ai suivi cette voix, j’avais toujours dans la tête une petite voix qui m’appelait ailleurs.

C’était en 2013 quand j’ai assisté à une messe d’ordination pour la première fois que j’ai entendu la voix m’appeler d’une façon indéniable.

Il y avait une joie palpable à la célébration.

Je m’imaginais à la place des ordonnés et je me suis dit, « voilà, c’est ce que je veux faire de ma vie ! »

Et c’est grâce à la voix d’une amie que j’ai connu les jésuites.

Elle me parlait de leur belle spiritualité.

Elle avait raison.

Les jésuites, nous faisons des retraites en silence pendant lesquelles nous prions et méditons la Parole de Dieu.

Le silence et le manque de distraction nous rendent plus sensible, plus disponible à l’écoute de ce qui nous habite et de ce que Dieu veut nous dire.

J’aime décrire ma première expérience du silence comme une rencontre très profonde avec le Christ Ressuscité.

Dans le contexte du silence, j’ai réalisé à quel point la peur dominait ma vie et m’empêchait de vivre pleinement.

Et dans ma prière j’ai entendu la voix du Christ qui me disait en espagnol, ma langue maternelle, « se acabó el miedo » (« la peur, c’est fini »)

Le passage de la peur à l’amour a été un processus graduel. Et même aujourd’hui j’apprends à faire confiance à cette voix qui m’appelle.

C’est la même voix qui m’a amené jusqu’ici, mais maintenant c’est une voix qui parle en français.

Je n’exagère pas quand je dis que mon séjour en France a changé ma vie.

Si vous avez vécu à l’étranger, vous connaissez sans doute les difficultés quotidiennes que cela entraîne.

Il y a beaucoup d’opportunités pour que la peur, la solitude, la fatigue entrent dans nos vies.

Mais avec le temps on apprend la patience, l’humilité, et la joie qui vient de voir qu’il y a plusieurs façons de vivre, de s’exprimer, d’entrer en relation. Et que Dieu est là.

On commence à comprendre que Dieu est plus grand que ce qu’on avait imaginé.

Comme le dit Jésus « Mon Père est plus grand que tout ».

Et il nous parle toujours.

Aujourd’hui, nous pouvons prier pour les vocations à la vie religieuse.

Mais nous pouvons aussi prier pour que nous tous puissions écouter la voix de Dieu dans nos vies, cette voix qui nous appelle à l’amour et à la communion.

Et pas seulement d’écouter, mais aussi d’être cette voix pour les autres.

Ulisses sj