La rencontre extraordinaire

Dimanche 19 décembre 2021

Regardons de plus près l’un des épisodes les plus extraordinaires des évangiles de l’enfance : la Visitation. Retenons trois points : pourquoi Marie se dépêche ? Décortiquons la scène pour voir non pas deux mais quatre protagonistes. Puis voir ce que cet évangile dit pour nous aujourd’hui, notamment à propos de ce qu’on appelle l’accompagnement spirituel.

Ainsi, pourquoi Marie se dépêche ? « Elle se mit en route et se rendit avec empressement chez sa cousine ». Marie a reçu un signe de la part de l’ange Gabriel : « Voici que ta cousine est enceinte ». Quand nous prenons une décision dans la foi, quand un événement spirituel intervient, nous sommes dans la nuit, mais Dieu donne toujours un signe, même comme on dit aujourd’hui « un signal faible ». C’est pourquoi Marie se dépêche en s’accrochant au signe que lui a laissé Gabriel. Mais plus profondément, lorsqu’un événement survient et qu’il nous marque, on a besoin de parler à quelqu’un de confiance. En effet, Marie s’est peut-être demandée si elle n’avait pas rêvé. Elle en a certainement parlé à Joseph car elle n’avait reçu aucune consigne de silence de la part de l’ange. Le bon Joseph aura sans doute été dépassé par cette annonce in-croyable. Marie a sans doute eu aussi besoin de parler à une femme, une aînée dans la foi, elle qui est à peine adulte. Alors, elle se dépêche. Sans doute, Joseph l’accompagne. Pouvez-vous l’imaginer sur un petit âne, prenant à peine les pauses ? Car plus profondément encore, ce qui la meut surtout, c’est la joie ! La joie, dit-on, est le sentiment de la liberté quand elle va dans le bon sens ; elle est ce qu’on éprouve lorsqu’on se laisse irriguer par la vie. En y réfléchissant, si elle porte l’Auteur même de la Vie, Marie doit donc éprouver la plus grande joie qu’un être humain ait ressenti. Elle porte en elle la plénitude de la joie d’Israël d’accueillir le Messie. C’est pourquoi nous l’appelons la fille de Sion.

Quand Marie arrive dans la maison d’Élisabeth et de Zacharie dans le village d’Ain Karim selon la tradition, quand elle salue sa cousine, Élisabeth se met à crier (on dit dans la traduction « qu’elle s’écria d’une voix forte », mais c’est beaucoup plus que cela). Imaginez le cri de joie d’une femme orientale ! Pas seulement l’expression d’une joie émotionnelle extérieure mais l’expression d’une joie toute intérieure, au sens le plus fort du terme, parce que c’est l’enfant qu’elle porte qui tressaille en elle. Nous avons donc besoin de « décortiquer » la scène pour voir ce qui s’y passe vraiment. En fait, tout se passe par la voix de Marie qui salue sa cousine. Sa voix est habitée par son intériorité qui abrite désormais la présence de Jésus. Et cette voix est captée non seulement par Élisabeth mais par Jean-Baptiste qui repose en son sein. Jean-Baptiste capte la présence du Messie et il tressaille instantanément. Il bondit et déstabilise Élisabeth qui comprend intuitivement le sens de ce tressaillement : « Lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse au dedans de moi. » Cette scène est tout bonnement extraordinaire. Nous savons par les avancées de la science et l’expérience, que les enfants in utero captent tant et tant de choses. Mais là, nous voyons que ce sont les premiers à partager la bonne nouvelle et Jésus, à ce moment-là, ne devait pas être bien gros…

Quel sens cette scène des Évangiles de l’Enfance a pour nous ? Je vous propose de vous représenter Élisabeth comme une femme âgée d’une grande expérience. Elle a certainement une très fine intelligence intérieure. Depuis qu’elle porte Jean-Baptiste en elle dans le miracle de son âge avancé, elle est consciente de l’amour de Dieu en elle ; ce qui lui permet de confirmer Marie dans ce qu’elle vit. Ainsi Marie pourra chanter son Magnificat avant même d’avoir pu constater les signes de son corps qui lui confirment sa grossesse, car tout se passe pour elle dans la foi pure. Grâce à la parole de confirmation d’Elisabeth, elle peut chanter avec assurance son action de grâce. De la même manière, dans la rencontre de l’accompagnement spirituel, la personne qui accompagne rend la personne accompagnée sensible au don que Dieu lui fait. Car elle confirme ce qu’elle vit. Ce qui permet à celle qui est accompagnée de marcher en confiance sur le chemin. Comme Marie, elle peut enfin mettre des mots sur son expérience qui la dépasse complètement et ainsi le Salut peut se faire.

Ce qui manque le plus à notre Église, dans les temps que nous traversons, ce sont les Elisabeth : ces hommes et ces femmes qui peuvent accompagner leurs frères et sœurs et les aider à mettre des mots sur ce qu’ils vivent humainement et spirituellement. Le terrain est alors plus sûr et l’Esprit et la personne peuvent entreprendre leur chemin d’alliance en toute assurance. Et le Royaume peut alors grandir. C’est notre souhait le plus cher. 

 P. Nicolas Rousselot sj