Quand Jésus refonde son église sur Pierre
Dimanche 1er mai 2022
Dans cet évangile magnifique, nous avons l’impression d’assister… à la résurrection des disciples. Les voici revenus en Galilée, au lieu du départ. Ils ont repris leur travail et semblent groggy, perdus. Et en plus, ils pêchent de nuit et ne prennent rien.
Nous avons dans ce récit comme une image de la communauté vivant ressuscitant peu à peu, dans la présence de Jésus.
La surabondance vient au moment où on ne s’y attend plus. Il y a l’eucharistie sur le bord du rivage. Comme autrefois pour la multiplication des pains, il y a la pêche miraculeuse, Jésus continue de nourrir les siens. Il y a aussi un nouveau mode de communication. Jésus ressuscité à la fois se cache et se révèle, c’est le nouveau régime de la foi. Puis, nous sommes dans l’Église comme dans la barque. Ça ne marche pas bien, on voyage de nuit et on ne prend rien. Lui seul nous donne au moment opportun ce dont on a besoin.
L’Évangéliste Jean avait mis son focus dimanche dernier sur Thomas, le dimanche d’avant sur Marie-Madeleine. Aujourd’hui il met son focus sur Pierre. Je vous propose de voir dans ce focus, à quel point est importante pour Jésus la mission qu’il confie à Pierre.
Tout d’abord, on voit Pierre se vêtir quand il comprend que Jésus est au bord du rivage. Puis il se jette à l’eau. Il va vers lui à la fois avec grand respect et engagement total. Il tire le filet des 153 poissons jusqu’au rivage (le nombre 153 est paraît-il le nombre des espèces connues de poisson à l’époque de Jésus mais c’est aussi une suite mathématique qui exprime un nombre quasi incalculable) : signe que Pierre est pasteur d’une église nombreuse, diverse, universelle dont il est garant d’unité. Le filet ne se déchire pas. Certes, la communauté a besoin de personnes spirituelles, mystiques, comme Jean, qui reconnaissent Jésus avant les autres, mais la communauté ne peut se passer de pasteur qu’est Pierre pour s’engager et marcher dans l’unité.
Prenons un peu plus de temps pour comprendre ce dialogue étonnant qui se passe après le repas lorsque Jésus prend Pierre à part. Dans ce dialogue, se passe ce qu’on appelle dans la spiritualité ignatienne une relecture, une relecture de la Passion. Celle-ci à première vue, pourrait sembler cruelle. Il pourrait y avoir de la part de Jésus une certaine violence en revenant volontairement là où ça fait mal. Trois fois, il lui demande s’il l’aime, en écho au triple reniement de Pierre et le feu de braise au bord du lac n’est pas sans rappeler le brasero de la cour du grand prêtre, le soir du jeudi saint, là exactement où Pierre a trahi. Pierre s’attend peut-être à entendre des remontrances, que Jésus lui demande de lui rendre les clés, pour les confier à Jean, qui est plus capable ayant été fidèle jusqu’au bout ? Il n’en n’est rien. Jésus va confier les clés à celui d’entre les douze qui a le plus expérimenté sa grande fragilité car il est le témoin, plus que les autres, de ce qui est le plus divin en Dieu : la miséricorde, l’amour qui va jusqu’au bout. Le mot «pardon», vous l’aurez remarqué, n’est pas prononcé. C’est un mot très précieux, mais pas indispensable. En redisant trois fois son amour pour le Christ, Pierre va pouvoir demander pardon et se découvrir pardonné.
Jésus va poser une question vraiment étonnante : « M’aimes-tu ?» Au cours de son ministère, jamais Jésus n’avait posé une telle question. Il avait souvent demandé : « Est-ce que tu crois ? » ou « Veux-tu être sauvé ? », mais jamais « Est-ce que tu m’aimes ? » Cette question suppose une très grande intimité. De plus, la requête de Jésus « M’aimes-tu plus que ceux-ci ? » est quasi impossible à entendre ! Elle s’explique certainement en référence à la phrase hasardeuse de Pierre, le soir du jeudi saint :« Si tous t’abandonnent, moi je ne t’abandonnerai jamais. » « Simon, fils de Jean, est-ce que tu m’aimes plus que ceux-ci ? », comme si la racine de cette phrase hasardeuse était juste. Pierre aime Jésus d’un amour de préférence. Il reconnaît par trois fois qu’il n’a pas réussi d’en témoigner avec ses propres forces. C’est pourquoi il dit : « Seigneur, tu sais tout, moi je ne sais plus si je t’aime, mais toi-même, sais bien que je t’aime.»
Jésus ne le questionne pas sur ce qu’il a fait ou ce qu’il n’a pas fait mais sur le plus profond, sur le plus vrai en lui : pour son amour qui n’a pas disparu mais dont lui-même doute encore. Jésus ne lui demande pas : « es-tu fort désormais ? Pourras-tu remplir ta mission? » mais « M’aimes-tu ? ». Là est le roc.
Si nous voulons aller plus profondément encore, ces textes sont extrêmement bien travaillés par la communauté johannique, le verbe grec employé dans la phrase « M’aimes-tu ? » est « agapas » : « Est-ce que tu m’aimes de cet amour inconditionnel et total ? » Et dans le texte, Pierre répond en disant seulement « Je t’aime, « philo », je ne t’aime que d’un amour humain, limité. La deuxième fois, Jésus re-demandes : « agapas ? « M’aimes-tu de cet amour inconditionnel et total ? » et le pauvre Pierre répond « philo », je t’aime d’un amour humain limité. La troisième fois, Jésus ne lui demande plus « agapas », mais va dire « phileis ? », verbe jamais utilisé dans le Nouveau Testament pour parler du service divin. On pourrait traduire la dernière question de Jésus : « Pierre, est-ce que tu veux être mon ami ? ». Ce passage va très loin, car on aurait attendu une progression inverse de ce qu’on attendrait. Logiquement, Jésus aurait fait progressivement monter Pierre de marche en marche : « Est-ce que tu m’aime d’un amour humain limité ? » par deux fois, puis à la fin, « Est-ce que tu m’aime d’un amour total ? ». Eh bien, c’est l’inverse qui s’est produit : Jésus a descendu les marches avec Pierre. Au bas de l’escalier, Jésus lui a demandé : « Je connais ton amour limité, mais est-ce que tu veux vraiment être mon ami. Et plus tu es mon intime, plus tu me fais confiance, plus je pourrais te confier ma charge.
Et nous pouvons aller encore plus loin, en méditant la réponse de Jésus : « Sois le berger de mes brebis ». Souvent Jésus s’est présenté comme le bon berger qui donne sa vie pour ses brebis. Cela explique clairement le désir de Jésus que la mission confiée à Pierre ait une identité avec la sienne. Une identité confirmée par le fait que Jésus indique bien qu’il ne s’agit pas de « tes » agneaux, de « tes » brebis mais les miennes. « Sois le berger de mes brebis », comme le jour où il avait dit : « Sur cette pierre, je bâtirai mon Église (et non ton église) ». Jésus commence par les « agneaux » pour finir par les « brebis », pour bien signifier que ce que « tu fais à l’un de ses plus petits, c’est à moi que tu le fais ». Ces textes, nous disent les spécialistes, ont été écrit grosso modo 35 ans après la mort de Pierre, martyr au cirque du Vatican, crucifié la tête en bas, selon la tradition. On sait aussi que la communauté johannique a un moment tangué, prenant la distance avec les autres église. Lorsque ces textes sont écrits, on dit qu’elle est arrivée au moment où la mission de Pierre (et de ses successeurs Lin, Clet, Clément, Sixte, …) est essentielle à leurs yeux. Et ceci nous ramène à l’actualité tragique de ces derniers temps. Nous pensons spécialement à nos frères et sœurs orthodoxes qui vivent une tourmente depuis qu’un de leur patriarche, sans doute le plus influent, est entré dans la folie d’un nationalisme ravageur. Ceci nous fait en contrepoint rendre grâce, humblement et profondément, pour celui d’entre nous qui, sur le siège de Pierre, assure en ce moment l’unité des églises. Amen
Nicolas Rousselot sj