7 Février 2021
(Jn 2, 13-25)
Un père de notre communauté, le Père Michel Fédou, m’a raconté qu’il participait un jour à un colloque à Rome avec des théologiens musulmans chiites. Le sujet était « violence et religion ». Le père Fédou expliquait que, certes on trouvait de la violence dans le premier Testament mais avec la venue de Jésus, une nouvelle étape était franchie : il n’y avait pas trace de violence destructrice dans les paroles ou dans les actes de Jésus. Or un théologien chiite qui manifestement connaissait les Écritures chrétiennes lui rétorqua : « Que pensez-vous de cet épisode où Jésus prends un fouet avec des cordes et chasse tout le monde hors du Temple de Jérusalem ? » C’est la question d’aujourd’hui que je vous propose : Jésus serait-il lui aussi violent, lui qui a dit pourtant : « heureux les artisans de paix » ? A cette question, deux réponses peuvent être données. La première, c’est un détail, mais un détail qui compte pour l’évangéliste Jean : autant Jésus met dehors promptement les gens et les animaux avec les brebis, autant il ne touche pas aux colombes. Jésus maitrise sa violence, disant seulement aux vendeurs « Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de commerce. » La 2ème réponse est ce fait surprenant que les gens ne lui reprochent pas son geste alors qu’il vient de mettre un bazar indescriptible dans un lieu hautement sacré. Ils lui disent : « Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? »
En effet les spécialistes affirment que le peuple d’Israël à ce moment-là attend un nouveau prophète qui va purifier le temple, et chasser les prêtres corrompus. Déjà dans le passé, Jérémie avait pointé le scandale : « le temple, vous en faites une caverne de bandits ! » Plus tard, Zacharie, un autre Prophète, avait prédit qu’un jour, lorsque le Messie viendrait, il n’y aurait plus de marchands dans le temple du Seigneur. Quant à Jean, au lieu d’être dans le temple comme son père le prêtre Zacharie, nous savons qu’il entraîna les foules à quitter le temple pour se faire purifier sur les bords du Jourdain. Comme s’il avait déplacé le temple. Ainsi Jésus ne peut être vu comme un dangereux personnage hystérique ne maîtrisant pas sa violence. Au contraire, il y met une limite, agissant dans la suite des prophètes qui sont là pour provoquer des électrochocs contre l’idolâtrie (comme le rappelle la lecture des « dix paroles » du Sinaï en première lecture). Mais il est vrai que l’électrochoc est violent. Comme si Jésus disait : le temple a été profané deux fois par les païens : en -135 par Antiochus Épiphane, successeur d’Alexandre puis en -63 par le général romain Pompée. Mais c’est vous qui aujourd’hui le profanez une 3ème fois, et vous le profanez comme de l’intérieur.
Maintenant que nous avons situé le geste de Jésus, nous pouvons en deuxième partie essayer de comprendre son message qui finalement n’est pas si simple. Pour bien le comprendre, il faut faire un peu de géographie, se rappeler comment étaient agencé le temple. Il faut l’imaginer une immense cour que l’on voit encore aujourd’hui, une zone immense de 400m de long et 250m de large, appelée « Parvis des gentils ou des païens » ; puis le temple proprement dit où les païens n’entraient pas sous peine de mort, appelé le « saint » où les juifs priaient ; Puis, beaucoup plus petit, le « saint des saints » où seul le grand prêtre entrait une fois par an, le jour du grand pardon. Nous le savons aussi, les Juifs étaient sédentarisés mais restaient un peuple de pèlerins. Ils venaient trois ou quatre fois par an en pèlerinage, présenter leur offrandes, des sacrifices d’animaux et des prières. Mais c’était compliqué de voyager avec des animaux, ils pouvaient les acheter sur place. Mais comme la monnaie courante était la monnaie de l’occupant romain, avec l’effigie de César, les images étant prohibées dans l’enceinte du Temple, les juifs changeaient l’argent sur le parvis pour acheter les animaux. Forcément, les changeurs prenaient une commission tandis que les autorités du temples prélevaient une taxe sur tout ce qu’on appellerait aujourd’hui un business lucratif. Habituellement, l’interprétation du passage s’arrête là. Jésus se fâche parce qu’on a transformé le temple de son Père en maison de trafic. Mais avec l’apôtre Jean, il faut aller plus loin. Il remarque que Jésus accomplit son geste de prophète en dehors du temple proprement dit, sur les parvis des gentils. Rien n’est laissé au hasard. Comme s’il disait : nos pères ont réservé ce lieu aux non juifs. Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob est le Dieu de tous les peuples. Vous avez oublié la place des païens, en « squattant » l’endroit qui leur était réservé. Or cet espace fait aussi partie du temple, c’est aussi un espace sacré.
Les trois évangélistes Matthieu, Marc et Luc placent cet épisode de la purification du temple au début de la semaine sainte ; alors que Jean le place au deuxième chapitre, tout de suite après les noces de Cana. Pourquoi cela ? Pour lui, le moment est inaugural. Comme s’il annonçait à Cana que Jésus vient accomplir l’alliance de son Père, il vient épouser l’humanité, se donne à elle sans se reprendre. Et il va ensuite au temple comme pour remettre le culte de son Père en ordre, dans le bon sens, comme on réajuste une boussole dans l’axe du Nord magnétique. Il vient donner un bon coup de balai. Cela lui coûtera la vie, puisque nous nous nous rappelons lors de son procès, que le motif principal de sa condamnation était qu’on l’avait entendu dire qu’il détruirait le temple et qu’il le rebâtirait en trois jours. Jean est le seul en effet à relater une sorte de dialogue de sourds avec quelques dignitaires où Jésus confond volontairement le temps et son corps. Même les apôtres avouent ne rien comprendre sur le moment. A cette époque, il n’y avait rien de plus sacré que le temple et les écritures. Plus tard, après la mort et la résurrection, les disciples comprendront que Jésus est le vrai sanctuaire. « Et le sanctuaire dont il parlait, c’était son corps ». Ce qui est une véritable révolution dans l’histoire des religions. Jusqu’alors, dans toutes les religions, on construisait des temples où on rencontrait Dieu en faisant des offrandes et des prières afin d’obtenir sa clémence. Désormais, Dieu se fait présent en Jésus, et c’est lui et lui seul qui nous livre les secrets de son père. Le sanctuaire maintenant c’est Jésus.Vous vous rappelez que lorsque Jésus meurt sur la croix, le rideau du temple se déchire en deux, comme pour dire que Jésus en traversant la mort abolit toutes les barrières (y compris la barrière ultime) pour nous amener au Père.
Nous avons ici la chance d’être ici dans un beau sanctuaire, une belle église, avec des couleurs dans les chapelles adjacentes, avec la pureté de la pierre et des lignes verticales à l’intérieur. Ce qui donne une atmosphère très priante. De plus, l’espace sacré est au milieu de nous. Et le moment le plus beau de cette église, c’est maintenant, lorsque le dimanche la pierre d’angle (l’autel) est entourée de ses « pierres vivantes ». Résonne alors les deux paroles de Saint-Paul : « C’est vous le temple de l’Esprit Saint », « Vous êtes le corps du Christ ». En effet, lorsque nous sortirons de cette église, ceux qui ne croient pas (je n’ose pas les appeler « les païens ») « toucheront » Dieu en nous « touchant », en nous rencontrant. Si nous leur faisons bon accueil, lorsqu’ils nous rencontreront, ils pourront rencontrer , « toucher » Dieu. « C’est une folie » nous dit Saint-Paul dans la deuxième lecture. Entrons si vous le voulez bien un peu plus aujourd’hui dans cette folie d’amour.
Père Nicolas Rousselot sj