Mouvement de l’Esprit
Dimanche 13 novembre 2022
(Lc 21, 5-19)
C’est le dernier enseignement public de Jésus, abordant un thème difficile : la fin de l’histoire. C’est un type de discours fréquent dans le judaïsme, le discours dit « apocalyptique ». Le but de ce discours est de dévoiler comment le monde actuel basculera pour faire place au monde nouveau de Dieu. Ce discours a un présupposé paradoxal, où on met en avant les catastrophes : même si le présent apparemment échappe à Dieu, le passé et l’avenir, et donc le présent, appartiennent à Dieu. Lui seul a le dernier mot sur Les forces du mal. Jésus utilise ce langage mais à ce détail près, qui n’est pas un détail : à l’inverse des autres discours de son temps, Jésus se refuse à prédire un calendrier. Il les rejoint cependant en insistant vigoureusement sur la vigilance et la persévérance des croyants dans ces temps tout sauf faciles.
La scène commence quand les auditeurs expriment leur fascination pour la beauté du temple de Jérusalem. Plus que sa magnificence, le temple incarnait pour Israël la protection de son Dieu. C’est pourquoi, la prophétie de sa destruction ne peut que choquer les auditeurs : « Il n’en restera pas pierre sur pierre » (Cette prophétie s’accomplira en 70 après Jésus-Christ par la destruction de Jérusalem et du temple par les armées de Titus). D’où la question qui vient aussitôt dans la conversation, celle du quand et du comment. À l’époque, sous la domination romaine, un certain nombre de soulèvements avec de faux messies se produisaient. Avec des guerres, des famines, des éclipses, météorites et autres signes dans le ciel. Jésus ne récuse pas ses pronostics plutôt sombres mais il les relativise : « Il faut que cela arrive, mais cela ne sera pas tout de suite la fin. » Notez le fameux « il faut » de Saint Luc qu’on retrouve souvent : « Ne fallait-il pas que le messie souffrît pour entrer dans sa gloire » dit Jésus aux deux pèlerins d’Emmaüs. Non pas que Dieu prescrive des malheurs, mais pour souligner que Dieu préside souverainement à l’ordonnancement de l’histoire.
Il y a le temps des persécutions « à cause de mon nom. » Les premiers chrétiens vont en faire abondamment l’expérience, on le voit déjà apparaître dans les Actes. Mais une promesse est liée à cette épreuve : « Vous n’avez pas à préparer votre défense, un autre parlera à votre place. » La persécution ne viendra pas seulement du dehors, elle viendra aussi du dedans, du cercle intime de la famille, « mais pas un cheveu de votre tête ne sera perdu. ». Même aux prises avec la grande épreuve, les témoins demeureront à l’abri du Très-Haut, comme l’a si bien commenté le grand Rabbin de France mardi dernier en cette Église Saint Ignace, en décrivant les tableaux de l’artiste Pranas Gailius sur le psaume 90 : « Qu’il en tombe 1000 à tes côtés, qu’il en tombe 10000 à ta droite, toi tu restes hors d’atteinte.»
Que retenir de cela ?
Nous aimons l’Église, nous ne l’admirons pas comme les disciples admirant la magnificence du temple de Jérusalem. Nous admirons les saints et les Saintes connus de tous ou de Dieu seul, ceux et celles littéralement « remplis de l’Esprit-Saint » qui ont fait avancer le Royaume. Malheureusement, nous sommes témoins, de semaine en semaine, d’effondrements de tel ou tel de ses responsables, prêtres ou évêques, et nous avons mal. Comme dit le texte d’aujourd’hui, nous avions compris que les persécutions venaient du dehors mais nous nous apercevons qu’elles peuvent venir aussi de la famille, de l’Intérieur. Nous pouvons souffrir pour l’Église, mais nous pouvons aussi souffrir par l’Église, par des représentants de Jésus, par cette façon qu’on appelle l’emprise.
En conclusion, je vous livre -bien humblement- deux convictions :
À l’heure où des chrétiens tellement lassés pourraient quitter une Église incapable de tenir ses promesses, nous pouvons voir paradoxalement un mouvement de l’Esprit, dans cette mise à l’épreuve de la vérité des relations. Nous n’avons peut-être pas encore touché le fond, mais nous pouvons accueillir avec consolation ce mouvement profond de l’Esprit de vérité.
Par ailleurs, de la voir tant abimée, je suis de ceux qui aiment encore plus notre Église, j’ai envie de faire encore plus pour elle. J’ai envie d’accueillir au nom de Jésus, avec vous tous, dans nos assemblées ou en semaine lors des permanences d’écoute spirituelle et de pardon, ceux qui peinent sous le poids du fardeau, afin qu’ils retrouvent un peu de repos. J’ai envie d’accueillir avec vous ces quinze catéchumènes qui sont venus frapper à notre porte en septembre. J’ai envie de travailler avec tous ces jeunes étudiants du Centre Sèvres qui méditent la parole de Dieu pour préparer le monde de demain. Avec les bénévoles, j’ai envie d’accueillir les pauvres au nom de Jésus avec Hiver Solidaire. J’ai envie enfin d’accueillir avec vous la trentaine de couples qui viendront prier dimanche prochain à la messe de 11h et qui préparent leur mariage. Certains d’entre eux ne sont pas baptisés, d’autres n’ont pas été catéchisés, mais ils ont le cœur ouvert. Comme nous voudrions leur présenter la beauté intérieure de l’Église, la beauté du message de Jésus.
Nicolas Rousselot Sj.