Le débat qui nous concerne

Dimanche 6 novembre 2022

(Lc 20, 27-38)

Avec cette page de l’évangile selon Luc, nous sommes plongés dans des débats sur la résurrection. Et nous avons à la fois, à comprendre un débat qui n’est pas le nôtre, et à entrer dans un débat qui nous concerne.

Ce débat entre Jésus et les Sadducéens, ce n’est pas le nôtre : c’est un débat entre différentes tendances du judaïsme palestinien, il y a deux millénaires. Un débat d’interprétation sur la Torah. Vous l’avez entendu, tous les interlocuteurs reconnaissent l’autorité de ces livres, attribués à Moïse.

« Moïse nous a prescrit ! » disent les Sadducéens, et ils se réfèrent au chapitre 25 du Deutéronome (Dt 25,5-6), presque la fin des paroles de Moïse avant que le peuple n’entre en Terre Promise.

« Moïse lui-même le fait comprendre ! » réplique Jésus, et il revient au chapitre 3 de l’Exode (Ex 3,6), au tout début de cette grande aventure où Dieu appelle Moïse, pour faire sortir son peuple de l’esclavage.

La manière de Jésus de citer l’Exode n’est pas un argument très logique ! le Seigneur est appelé « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob », et Jésus y voit le signe que Dieu n’est pas « le Dieu des morts, mais des vivants ». Mais sa manière de citer l’Écriture a une grande supériorité sur celle des Sadducéens. Jésus, lui, cite en faisant attention au contexte : à cette grande histoire fondatrice, où Dieu a entendu son peuple esclave en Egypte, et a voulu lui redonner la vie. Les Sadducéens, eux, citent de manière parfaitement logique un passage du Deutéronome, mais sans comprendre son contexte, cette grande dynamique de retour à la vie.

Il y a, dans cette page d’évangile, aussi un débat qui nous concerne… Mais je dois préciser d’abord un débat qui n’a pas lieu d’être. Ce débat, c’est celui de la prétendue supériorité du célibat consacré sur le mariage. Longtemps, l’Église a eu le tort d’enseigner cela ! Heureusement, elle ne le fait plus. Vatican II a affirmé clairement que tous les états de vie peuvent être des chemins de sainteté (cf. Lumen Gentium, §32). Si Jésus dit que « les enfants de la résurrection » « ne prennent ni femme ni mari », ce n’est pas pour dévaloriser le mariage. C’est pour saper une mauvaise raison de se marier, qui serait de vouloir survivre – échapper à la mort – en se perpétuant par ses descendants. Faire perdurer le nom de famille, faire perdure la maison, faire perdurer l’entreprise, faire perdurer le royaume… Durer après sa mort, c’est une angoisse que les chrétiens n’ont pas. Alors, s’ils se marient, ils sont capables de donner à leurs enfants une vraie liberté : ceux-ci n’ont pas à assumer le rôle de poursuivre à l’identique ce que leurs parents ont construit.

Alors où est le débat qui nous concerne, dans cette page d’évangile ? Ce débat, c’est celui des temps de la résurrection. Est-ce que croire en la résurrection, c’est avant tout croire en un passé, un présent, ou un futur ? Ce débat apparaît en voyant comment l’évangéliste Luc, reprenant à l’évangéliste Marc les paroles de Jésus, y a apporté quelques modifications surprenantes [comparer Mc 12,25 à Lc 20,34-36]. Dans Luc, nous n’avons pas entendu Jésus parler de la résurrection d’abord comme d’un avenir, mais comme un présent. Il ne dit pas « quand vous serez au paradis, vous ne vous marierez pas de nouveau », mais il compare, dès à présent, « ceux qui appartiennent à ce monde-ci » (sous-entendu, les pécheurs), à « ceux qui ont été jugés dignes, etc. » : ces derniers « ne prennent ni femme ni mari, etc., ils sont enfants de Dieu et enfants de la résurrection. »

Ce débat qui nous concerne porte sur le cœur de la foi chrétienne : croire en la résurrection, est-ce croire seulement en un « après » (dans 20 ans, dans 50 ans, dans 80 ans), ou bien est-ce croire avant tout à un présent ? un présent, comme un maintenant, et comme un cadeau aussi ?

Au cœur de notre foi en la résurrection, il n’y a pas une démonstration logique sur Moïse et le Pentateuque, ni une espérance floue pour l’avenir. Mais il y a l’accueil, aujourd’hui, de cette proclamation ancienne, que les générations chrétiennes nous ont transmises : « Ce Jésus, que vous aviez crucifié et mis au tombeau, Dieu l’a relevé d’entre les morts. » [voir ainsi : Ac 2,23-24 ; Ac 3,15 ; 1 Co 15,3-4 ; etc.]

C’est aujourd’hui qu’il nous est proposé de croire à la résurrection de Jésus, et, aujourd’hui, de vivre d’une manière nouvelle, libre de la paralysie qu’entraîne la peur de la mort, libre du péché qui isole et empêche d’agir pour le bien commun.

Paul l’avait écrit aux Romains, au chapitre 6, et entendez comme il parle de la mort au passé, et de la vie nouvelle au présent :

« Puisque nous sommes morts au péché, comment pourrions-nous vivre encore dans le péché ? Ne le savez-vous pas ? Nous tous qui par le baptême avons été unis au Christ Jésus, c’est à sa mort que nous avons été unis par le baptême. Si donc, par le baptême qui nous unit à sa mort, nous avons été mis au tombeau avec lui, c’est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi, comme le Christ qui, par la toute-puissance du Père, est ressuscité d’entre les morts. » (Epître de Saint-Paul aux Romains 6,2-4)

Erwan Chauty Sj