Dimanche 5 mars – 2ème dimanche de carême A Mt 17,1-9
l’Eveil de la Transfiguration
Lundi dernier à la communauté jésuite du centre Sèvres, nous avons reçu une visite passionnante. Un de nos compagnons, Bernard Sénécal, est venu nous parler de sa vie : depuis plus de 35 ans, il se trouve en Corée. Comme François Xavier, Matteo Ricci ou tant d’autres, il s’est mis au défi de rencontrer le Christ à travers les cultures asiatiques, si éloignées des nôtres. Depuis longtemps, Bernard a choisi d’explorer le Bouddhisme Coréen. Après certaines décennies de crises où tout son monde d’avant s’est écroulé, il est arrivé à découvrir, à travers la voie bouddhiste de l’Eveil, la personne de Jésus comme son « seul point d’équilibre ». Il lit et relit, nous a-t-dit, les évangiles, à travers cette culture qui désormais est devenue sienne. A travers les écrits des sages, les évangiles sont plus que jamais sa boussole. Par exemple, lorsqu’il lit l’épisode où Jésus-enfant faire sa fugue au temple, il décèle une première expérience d’éveil. Ou plus tard, lors du baptême, ou lors du retour de mission des apôtres, quand Jésus tressaille sous l’action de l’Esprit-Saint et où il voit Satan tomber comme l’éclair, son éveil lui fait voir ce que les autres ne voient pas. Il y a bien sûr l’expérience d’éveil la plus profonde , sa résurrection, qui est non seulement son éveil mais son réveil. Or je vous parle de tout cela ce jour car Bernard a mentionné cet épisode très particulier qu’est la transfiguration. Ce jour-là, apparaît comme dans un flash, la « gloire », c’est-à-dire « le poids », la manifestation de la vraie identité de Jésus, de manière plus forte encore qu’au baptême. L’expérience d’éveil de Jésus est alors renouvelée car elle va jusqu’au le consentement de la Croix : consentir à prendre sur lui la violence des hommes, à mourir en se détachant du Père, sans le quitter (Tu vas passer par la croix mais tu restes « mon Fils bien aimé, en (qui) j’ai mis tout mon amour ». Le transfiguré consent à se laisser défigurer. Sur la montagne, on le voit converser avec Moïse et Élie qui représentent la loi et les prophètes, toute la révélation du premier Testament. On l’oublie un peu, mais ils sont les seuls de tous le 1er Testament, à avoir contemplé la gloire de Dieu. De plus, on ne sait comment l’un et l’autre ont quitté le monde : Elie est monté au ciel comme dans char de feu tandis que Moïse est bien mort sur le mont Nébo, mais on n’a jamais pu retrouver son tombeau. Comme Jésus, eux seuls ont vécu un certain éveil, eux seuls sont capables de le comprendre.
Les apôtres, eux, sont littéralement « écrasés de sommeil », comme le dit la version lucanienne, ou « tombèrent face contre terre », comme ici. On pourrait comprendre ce sommeil comme une sorte de défense psychologique : on « coupe le courant », on « débranche » car l’expérience est trop forte pour les humains. Cette scène de la transfiguration nous échappe à nous aussi, avouons-le. Après des décennies de prière, de lecture de la parole et de pratiques évangéliques, nous sommes toujours dépassés par cet événement surnaturel, et c’est bien ainsi. Mais, et c’est ma 2ème partie, cette scène est aussi très humaine, remarquablement humaine, grâce à l’ami Pierre.
Pierre en effet va sortir de la passivité du sommeil en prenant l’initiative d’installer une sorte de camping : « Je vais faire ici trois tentes ».Les spécialistes disent que nous sommes avant la fête de Sukkot, la fête des « Cabanes » ou des « Tente »s, qui rappelle comment Dieu avait si tendrement accompagné le peuple à travers l’épreuve du séjour au désert. Pour Pierre, il faut anticiper la fête car les temps messianiques sont advenus, Moïse et Elie ayant rejoint le Maître : « Il est bon que nous soyons ici ! ». L’intuition est bonne, mais elle rappelle ce que St Ignace appellera plus tard le risque de la « tentation sous couvert de bien ». Certes, on perçoit la générosité de Pierre, sa bonne volonté, son esprit d’initiative. Il fait le maximum pour être digne de la confiance que le Christ lui a accordée. Mais en plantant ses tentes, ne voudrait-il pas prendre la maîtrise de l’évènement ? Ne voudrait-il pas faire durer l’évènement ? Ta générosité, cher Pierre, pourrait cacher un piège. Comme souvent dans l’Evangile, , nous te voyons « taper à côté », tout en te montrant magnanime. Sans doute, en te décrivant presque de façon caricaturale, Mathieu veut nous parler de l’Eglise, du grand paradoxe que le Seigneur nous fait vivre : >Le mystère nous est confié, et souvent, nous « tapons à côté ». Pourtant, Jésus vient nous « toucher », comme le dit le récit et nous « relever ». Il ne s’agit pas de dresser trois tentes mais de contempler comment la gloire se manifeste dans la pauvreté, ce qui humainement est très difficile à accepter. Tel est l’enseignement de cet Evangile.
Père Nicolas Rousselot sj