Que vienne le temps des prophètes !

Dimanche 5 décembre 2021

Ba 5, 1-9; Ph 1, 4-6.8-11; Lc 3, 1-6

Aujourd’hui, je vais rester sur la première partie de cet Évangile. Vous venez d’entendre une description très précise de tous ceux qui gouvernent le pays au temps de Jésus, une description à la fois géographique et politique de la Terre Sainte. Certainement, Luc l’évangéliste est un bon historien. Mais il y a une intention théologique derrière cette description. En fait, il nous dit que cela ne va pas du tout. La Terre Promise donnée par Dieu est aux mains des païens, gouvernée par Ponce Pilate. Il y a comme successeur du roi David, non pas un mais trois rois. Et le pire, c’est qu’il y a deux grands prêtres. Tout est dans le désordre ! Dieu passait toujours par les rois, toujours par les prêtres. Là Il ne le peut pas. Donc, Il lui reste une troisième issue, la seule issue possible : les prophètes. C’est ainsi que Jean-Baptiste entre en scène. C’est un enseignement pour aujourd’hui. Apparemment nos institutions, notamment notre Eglise, ne vont pas bien. L’Esprit Saint a du mal à passer. Eh bien, il se pourrait que ce soit la voie prophétique qui nous sauve.

Puis, après cette grande description, vient une phrase superbe : « La parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, le fils de Zacharie ». Comme si, toutes les voies étant bouchées, la parole de Dieu se fraye un passage à travers le désert, vers le dernier des prophètes. Mais il y a là aussi une intention théologique de Luc. Il nous dit que Jean-Baptiste est bien le fils de Zacharie. Zacharie, nous le voyons dans les chapitres précédents est au temple, en train d’officier. Jean-Baptiste devrait donc suivre son père qui est lévite. Mais le voici dans le désert. Il a quitté le temple. Il veut faire revenir Israël au désert, parce que le désert est le lieu de l’ultime nécessaire. C’est le lieu des commencements, c’est là où Israël a été éduqué. Dans le désert, on est distrait par rien, on va à l’ultime essentiel. Notre Eglise, en ce moment est mise au désert. Notre génération, et j’espère la génération suivante, doivent se mettre devant le nécessaire, devant l’essentiel, en vérité.

Or, plus exactement, Jean-Baptiste n’est pas complètement au désert. On dit « qu’il parcourut la région du Jourdain en proclamant le baptême de conversion. » Il est dans le désert tout en étant au bord du Jourdain, là où l’eau coule, là où il y a une fertilité. C’est là où, traditionnellement, se situait l’entrée en Terre Promise. On voit bien que, si Zacharie se met au bord de l’eau, il veut revenir au commencement. Il veut revenir à l’origine. Cela aussi nous parle aujourd’hui. Non seulement nous revenons à l’essentiel, l’Évangile, mais nous voulons revenir à notre baptême : comment nous sommes des serviteurs, nous exerçons notre sacerdoce royal ; comment vraiment nous exerçons notre ministère de prêtre, notre ministère de la prière, nous intercédons pour nos frères. Et puis, comment nous sommes prophètes. C’est la question que nous allons nous poser pendant le synode. Un compagnon jésuite me disait il y a quelques jours « il ne faut plus parler de l’Eglise, il faut parler du Christ ». Suivre Jésus, suivre le Christ. Dès qu’on parle de l’Eglise, finalement c’est un mot qui devient trop encombré. Reparlons du Christ, repartons du Christ.

Puis maintenant, on dit que Jean-Baptiste « proclamait un baptême de conversion ». Ça a été à ce point prégnant dans sa vie que c’en est devenu un surnom : on ne l’a plus simplement appelé Jean, on l’a appelé « Jean Le Baptiseur », le plongeur pourrait-on dire. C’est un prédicateur et un plongeur. Il est le prédicateur de la fin des temps. Dieu va venir pour rencontrer Son peuple de nouveau et va procéder au discernement, au jugement. Le seul moyen de s’y préparer est de confesser ses péchés, corriger sa vie et recevoir le baptême. Car il ne suffit pas de faire partie du peuple saint pour être sauvé (c’était déjà une affirmation des anciens prophètes). Ce que va faire Jean est proprement révolutionnaire, Jean va être le premier au sein du judaïsme à mettre en place un rite baptismal unique. Les archéologues, ces derniers temps, ont retrouvé autour du Temple de Jérusalem, et puis aussi chez les Esséniens- vous vous rappelez tous ces Juifs très pieux qui s’étaient retirés au désert- des « mikvaot », c’est-à-dire des espèces de bassins servant aux ablutions rituelles. Il y en a partout autour du temple, dans les maisons. C’est-à-dire que, sans cesse, les Juifs pieux se purifiaient, faisaient des sortes de baptêmes d’eau pour se purifier des souillures du monde, spécialement du monde environné de païens. Jean, lui, va rompre avec ces pratiques d’ablutions répétitives. Il va prescrire une unique purification. C’est suffisant, c’est efficace. Ton baptême ne va pas effacer les souillures du monde profane, il va effacer tes propres péchés. Et là, on change de religion. Ce qui était prévu une fois par an le jour du Yom Kippour, le Grand Pardon, Jean-Baptiste va dire que le pardon est lié à une démarche personnelle : quand tu es prêt, quand ta démarche est mûre, tu peux vivre l’expérience du pardon en confessant tes péchés et en te faisant baptiser. On dit que la religion nouvelle est venue avec Jésus. En fait, elle est advenue avec Jean-Baptiste.

Je terminerai ce mot par une de ses dernières expressions : confesser ses péchés.

Pourquoi la confession est-elle à ce point si profonde, si efficace pour revenir vers Dieu ?

Confesser, veut dire reconnaître. C’est un mot très important, il vient de la parole de Dieu. Confesser veut dire être humble face au réel. Le temps d’aujourd’hui est vraiment un temps où nous devons confesser, reconnaître ce qui est juste et ce qui ne l’est pas, ce que l’on peut faire, ce que l’on ne doit jamais faire. Isabelle Le Bourgeois, Sœur Auxiliatrice, nous a parlés il y a quelques jours en assemblée. Elle nous a dit que c’est le temps où nous devons dialoguer, débattre, mais ne jamais parler en étant contre les personnes. Il y a une manière de reconnaître, de confesser, qui empêche d’être contre les personnes. Parce que c’est malheureusement ce qui se passe aujourd’hui dans la plupart de nos dialogues qui se terminent en conflits. Et nous nous séparons les uns les autres. Et c’est dramatique pour notre société, pour notre Église. Et là, Jean-Baptiste va nous dire ‘confesse tes péchés !’. On ne peut pas avoir une foi vivante si l’on ne confesse pas ses péchés, ce que l’on fait en chaque début d’eucharistie en disant ‘nous nous présentons devant Toi’, « je confesse à Dieu tout puissant… ». Nous pourrions dire ‘nous confessons à Dieu…’ : non, c’est je ! « Je confesse à Dieu tout puissant, je reconnais devant mes frères… » : c’est le passage obligé. Et puis nous le savons, humainement et spirituellement, il est bon et même nécessaire, de régulièrement parler de la foi, parler de ma foi, m’en remettre à un autre, être vrai. Faire une démarche d’humilité pour changer, pour continuer à changer.

Et en conclusion, je vous rappellerai les trois mots que nous a légués le cardinal Martini, l’archevêque de Milan, jésuite qui nous a beaucoup marqués finalement. Il nous dit ‘la confession, il faut se rappeler qu’elle va dans trois directions. Quand tu vas demander le pardon, quand tu vas au sacrement de réconciliation, ne confesse pas seulement tes péchés’. Il dit ‘il y a trois confessions. Confessio laudis, confessio vitae et confessio fidei.’ Confessio laudis : il faut d’abord que tu rendes grâce de ce que le Seigneur fait dans ta vie. Si tu n’arrives pas à le faire, demande l’inspiration. Ensuite, confessio vitae : confesse, reconnais ce qui fait obstacle dans ta vie et demande l’inspiration pour trouver les mots, pour que « ça se débouche », désensable la source. Mais, ça ne suffit pas. Il dit ‘ confessio fidei, confesse la foi’ : oui Seigneur, Tu viens me sauver, oui Seigneur Tu es présent même si dans ma sensibilité je ne perçois pas grand-chose, je ne viens pas chercher un bien-être, je veux être vrai avec Toi.

Nous réalisons que le temps de l’Avent est vraiment propice pour ce renouvellement. Il est vrai, cette démarche est difficile (je parle pour moi). Certes, on n’y va pas avec des pieds de plomb, mais avouons que ce n’est pas naturel de s’en remettre à un autre pour faire cette confessio laudis, vitae, fidei. Quelquefois, je n’ai rien à dire sur ma foi, je n’ai pas grand-chose à dire sur ma vie parce qu’elle me semble très ordinaire. Mais si je demande à l’Esprit de venir m’aider, de me guider, je serai exaucé, je serai toujours exaucé. Amen.

 P. Nicolas Rousselot, sj