JÉSUS, MOISE ET JOSUÉ ou LA PRIÈRE DE SUPPLICATION

 

Dimanche 16 octobre 2022

Dimanche dernier, nous avions vu les dix lépreux être guéris par Jésus, mais nous n’avons vu qu’un seul revenir vers lui. Cette page d’Evangile était à sa manière une image de la prière ignatienne de relecture, d’action de grâce. Cette fois-ci, Saint Luc nous parle de la prière de demande. Nous l’avions déjà rencontrée dans l’histoire de l’ami importun qui vient en pleine nuit déranger son voisin pour demander trois pains. Mais aujourd’hui, c’est une prière plus insistante, symbolisée par cette veuve qui fait le siège autour du juge cynique qui finalement va céder, sous le poids de l’insistance. Il ne s’agit plus d’une prière de demande, mais d’une prière de supplication. Une fois n’est pas coutume, je vais laisser cet évangile de côté pour m’attacher à la première lecture tirée du livre de l’Exode, racontant le fameux combat de Rephidim, entre les Amalécites et Israël, véritable métaphore de de la prière de supplication.

Nous nous trouvons donc en plein désert, les Hébreux ayant traversé la mer Rouge. La Terre Promise est encore loin et le peuple doit faire face à trois types d’obstacles : deux obstacles internes (la faim et la soif) et un troisième obstacle, celui-là externe : les ennemis. Le récit commence lorsque les ennemis sont annoncés et Moïse demande à Josué de bien choisir ses hommes, en mettant à part le reste du peuple. Pendant la bataille, Moïse se tiendra en prière pour intercéder auprès de Dieu, en élevant le fameux bâton qui servit à fendre les eaux de la Mer Rouge et à fendre le rocher pour en sortir de l’eau. Le bâton offre la sécurité d’un Dieu puissant qui ne nous laissera jamais tomber. L’ordre de Moïse à Josué est précis, il allie la confiance en Dieu et la confiance en la force des moyens humains (le choix des meilleurs hommes). Le jour du combat arrive, Moïse monte sur la montagne avec Ur et Aaron. A chaque fois que Moïse élève les mains vers le ciel, l’armée de Josué prend le dessus, mais à chaque fois que Moïse est pris de crampes et laisse retomber ses bras, Amalek est le plus fort. Le récit dit à sa manière la force de la prière dans le cours de nos luttes humaines, mais curieusement le récit ne nous parle plus du fameux bâton.  Moïse implore Dieu les mains vides, les mains ouvertes. Il a laissé ce bâton qui donnait l’assurance et le voici complètement démuni, en prière insistante, se tenant à la place du peuple, devant Dieu. Au moment la fatigue survient dans le combat spirituel, Aaron et Ur ont l’intelligence de la situation en mettant une sorte de pierre pour asseoir Moïse et le soutenir sous les aisselles afin que la prière dure jusqu’à la fin de la nuit. Ce passage exprime à sa manière que les moyens humains sont nécessaires : si tout le monde était monté sur la montagne pour prier, cela aurait été une catastrophe. Si tout le monde avait été dans la plaine, y compris Moïse, cela aurait été une catastrophe. Dieu seul donne la victoire, même si les moyens humains sont nécessaires. La prière ne fait pas tout, mais elle est source de tout. Seul le Christ pourra faire durer la prière jusqu’au bout, par-delà la mort. Il est notre grand intercesseur dira l’épître aux Hébreux.  Lui seul peut accomplir la prière d’intercession. Allons encore plus loin : les mains vides de Moïse tournées vers le ciel annoncent les mains du Christ sur la croix, totalement démuni. Allons plus loin encore en disant que le Christ non seulement est resté dans la prière, il est le nouveau Moïse, mais aussi on le dit moins :  il est le nouveau Josué. En effet, le nom Jésus est en fait le même nom que le nom Josué, tous deux veulent dire Sauveur. Jésus est notre nouveau Josué, c’est lui qui nous a ouvert la porte de la terre promise, il est bel et bien descendu dans la plaine au milieu de nous pour combattre et remporter la victoire.

Je voudrais terminer ce commentaire en reprenant une maxime assez célèbre dans la tradition ignatienne, qui vient non pas de Saint Ignace mais d’un jésuite hongrois du 17e siècle, Gabor Hevenesi. En une phrase très paradoxale, il synthétise admirablement ce que nous pouvons comprendre de cette lecture métaphorique de l’Exode. Attention, cette maxime est difficile à retenir :

Crois en Dieu comme si tout le cours des choses dépendait de toi et en rien de Dieu. Cependant mais tout en œuvre comme si rien ne devait être fait par toi, et tout par Dieu seul.

Crois en Dieu, c’est-à-dire, prie sur la montagne à l’écart en sachant que le cours des choses que tu accompliras dans la plaine dépendra entièrement de toi. Dieu te rend responsable de tes actions, il t’envoie les réaliser. Il te fait entièrement confiance. Cependant, dès que tu es descendu dans la plaine, agis, mets tout en œuvre comme si c’était Dieu qui faisait tout, comme si c’est lui qui ouvrait tous les chemins, et que tu t’en remettais en tout à son action. Encore une fois, cette maxime est paradoxale mais elle dit réellement le fait d’entrer dans la prière d’intercession de Jésus.

Dans les prochains jours, nous allons prier, nous allons rendre grâce, nous l’espérons, nous allons en avoir de nombreuses occasions. Nous allons aussi faire des demandes. Mais pourquoi n’entrerions-nous pas davantage dans une prière de supplication c’est-à-dire une prière où on s’engage tout entier ? Où on s’engage corps et bien dans ce que nous demandons. Vous et moi, avouons-le, cet engagement dans la prière n’est pas si fréquent. Mais pourquoi ne le serait-il pas davantage ?

Nicolas Rousselot Sj