« Laissez les petits enfants venir à moi »
Dimanche 3 octobre 2021
Je voudrais ce matin commenter seulement ce passage où Jésus est avec les enfants, les bénit, ainsi que l’altercation avec les Apôtres qui s’ensuit, car il est à lui seul plein d’enseignements. Je voudrais aussi contextualiser ce passage avec la fête de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus qui a eu lieu vendredi, elle qui a tant parlé de l’enfance spirituelle, un thème qui reste difficile à comprendre. Ce passage, dans un troisième point, pourra aussi nous évoquer l’actualité malheureuse de l’Église.
Tout d’abord, entendons cette phrase : « Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas ». Cette phrase est très importante pour les premiers Chrétiens. Cette phrase leur a donné l’audace un peu folle de baptiser les bébés, avant même l’éveil de leur conscience. Ils ont entendu « ne les empêchez pas », « laissez-les venir à moi » , bien sûr à condition que ces enfants naissent dans une famille où l’évangile sera donné.
Deuxième point. Nous remarquons que Jésus se fâche, ce qui arrive de temps en temps dans l’évangile, notamment envers les pharisiens, quelques fois envers les apôtres. Mais là, mon expression est un peu crue, mais cela a du « péter » entre Jésus et les apôtres. Il y a quelque chose d’essentiel pour lui. Lui qui n’a pas été père selon la chair. C’est le signe qu’il a une proximité, un lien évident avec les petits enfants. A part Judas qui lui donne un baiser au Jardin des Oliviers (et quel baiser !), c’est la seule fois, à ma connaissance dans l’évangile, où l’on voit Jésus embrasser, manifester explicitement une tendresse, une humanité. Et nous sommes si heureux que dans notre foi, nous accueillons le Fils de Dieu avec une telle humanité. Nous en sommes même fiers !
Le troisième point est le plus important. Les spécialistes de la langue grecque remarquent un détail. On a lu : « des gens présentaient à Jésus des enfants pour qu’Il pose la main sur eux. » On s’attend à une bénédiction, mais ce n’est pas sûr. Ce n’est pas sûr parce que ces spécialistes nous disent que le verbe grec « haptomai » chez Marc est utilisé uniquement pour le toucher thérapeutique, uniquement quand Jésus soigne et guérit. Cela sous-entend donc que ces enfants, ces nourrissons, ces petits bébés, sont sans doute amenés à Jésus par leurs parents parce qu’ils sont souffrants. On comprend mieux alors la grande colère de Jésus envers les apôtres qu’il surprend en train d’écarter ces petits enfants. « Voyant cela, Jésus se fâcha », comme s’Il disait aux apôtres : vous êtes les premiers concernés par le royaume de Dieu et vous êtes en train de repousser ceux-là mêmes que vous devez prendre pour modèles. Mais il faut aller encore plus loin car une certaine interprétation du texte irait jusqu’à dire : le royaume, dont je vous parle tant et tant sur les chemins de Galilée, vous devez l’accueillir comme on accueille un bébé souffrant, le mystère d’une vie fragile. Il faut à la fois beaucoup de précaution et beaucoup d’assurance pour le porter, cet enfant. Il a en lui la promesse d’une croissance. Les parents ici-même savent mieux que moi, que nous, à quel point les enfants peuvent épuiser par leurs pleurs et par leurs cris, en particulier la nuit. Mais ils sont ce que nous avons de plus précieux, spécialement quand les enfants sont malades, qu’ils sont souffrants. Il se trouve que cet été, j’ai rencontré une famille qui a passé des mois de confinement rue de Sèvres parce que leur enfant était très malade. Venant de province, ils l’ont amené à l’hôpital Necker. Et à ce moment-là, tout s’est arrêté. Ils ont télétravaillé, ils ont cherché des logements, notamment chez les Sœurs Auxiliatrices qui accueillent très bien les familles des enfants de Necker. D’eux, j’ai retenu que lorsqu’ un enfant est souffrant, on arrête tout pour se consacrer à lui. Cela serait une bonne ligne directrice, un bon fil rouge pour l’année de notre communauté de Saint-Ignace. Commencer l’année en écoutant Jésus nous dire : pour le royaume, comme pour un enfant souffrant, il faut tout arrêter pour accueillir cette vie fragile qui doit s’enraciner ».
Maintenant, je contextualise ce récit. Vendredi, nous avons fêté Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, Docteur de l’Église car elle a redécouvert la voie de l’enfance spirituelle. Pour elle, l’essentiel est d’accueillir l’Evangile à la manière d’un enfant. Elle dit que l’enfant est notre premier modèle car Jésus est venu seulement nous dire que nous avons un Père et que nous sommes ses enfants. Redevenir un enfant : pour Thérèse, c’est suivre la vie-même du Christ, car comme pour Jésus, le Père nous engendre continuellement à la vie. Elle prend une image qui nous paraît enfantine, voire infantile. Elle se voit comme un petit oiseau très fragile qui aimerait bien voler mais qui en est incapable. C’est le mystère de notre impuissance. Et vous et moi, nous avons éprouvé notre radicale impuissance face au mystère de Dieu. Mais le risque, c’est de croire que la voie d’enfance spirituelle s’arrête là, dans l’expérience de notre fragilité, de notre impuissance face à Dieu. C’est un peu embêtant car cela pourrait induire une sorte de sentiment d’infériorité, sous prétexte d’humilité, mais qui en fait est une auto-centration. Nous sommes fragiles mais nous restons fixés sur notre fragilité. C’est là où Sainte Thérèse est géniale parce qu’elle ajoute : « je suis un faible petit oiseau, mais comme l’aigle, j’ose fixer le soleil divin ». Il y avait une croyance à l’époque, sûrement contredite par la science aujourd’hui, que l’aigle serait le seul oiseau arrivant à fixer le soleil, sans être ébloui. Thérèse se voit fragile, mais cette expérience de fragilité ne l’empêche surtout pas de ressentir et d’exprimer ses grands désirs. Oh ce serait si bien si notre fil rouge de l’année à Saint-Ignace soit d’accueillir nos fragilités, celles de ceux qui viennent frapper à la porte, notamment en semaine pendant les temps d’écoute et de pardon. Mais que l’on accueille aussi, au milieu de nous, les grands désirs. Ce serait vraiment le signe de la vie. Et peut-être que nous pourrons dire, comme Thérèse, dans le secret de nos cœurs, « certes je veux t’aimer comme un petit enfant, mais je veux lutter aussi comme un guerrier ardent !».
Et maintenant, je conclus en contextualisant sur ce qui nous arrive dans l’Église ces jours-ci. Le passage de Jésus qui se fâche contre les apôtres à propos des petits enfants, nous fait penser à la colère de Dieu pour tant de victimes, profondément abîmées sous l’emprise de nombre de ses apôtres envoyés pourtant pour annoncer le règne de Dieu. C’est une réalité impossible. Nous en parlons depuis quelques années, c’est comme un secret de famille qui s’ouvre dans sa béance et dont l’ampleur nous sera révélée mardi. Certains parlent d’un tsunami. La prière est bienvenue, la solidarité entre nous sera précieuse pour faire tout ce que nous pouvons pour ceux et celles qui ont été , celles qui sont peut-être dans notre assemblée, tout faire pour ceux et celles que nous connaissons et pour ceux et celles que nous ne connaissons pas.
Seigneur, viens à notre aide ! Amen.