Méditations de l’Avent – 12 décembre 2023

« La vérité germera de la terre, et des cieux se penchera la Justice. » Psaume 84

Ma méditation voudrait s’arrêter sur un seul verset car il fut une de ces petites révélations qui ponctuent une vie de croyant : « La vérité germera de la terre, et des cieux se penchera la Justice. ». Je vais essayer de vous retranscrire le dialogue intérieur qu’il provoqua autour de de cette reformulation : Ainsi la vérité serait de cette terre, tandis que la justice serait du ciel.

Ne trouvez-vous pas, la formulation de ce verset inattendue et paradoxale ? Ne supposons-nous pas plutôt que la vérité appartient au ciel tandis que nous, ici-bas, vivons dans l’ignorance ; et que la justice devrait exister sur terre, et le Jugement dernier ne serait que l’acte rendu définitif et inébranlable d’une décision que nous croyons déjà connaître et pouvoir anticiper ? Hé bien non, si l’on suit ce verset ; il nous dit précisément l’inverse.

La vérité

Revenons d’abord sur ce terme de vérité. Ainsi nous apprenons qu’elle serait de cette terre, pareille à la sève par qui germine la graine jusqu’à en faire une plante qui se dresse. Et puisqu’elle se manifesterait en l’homme depuis cette terre, on pourrait la considérer comme la part adameuse de la Genèse, comme notre réalité première. Elle serait ce souffle de vie dans nos narines et qui jamais ne cesse de nous animer et de nous faire vivre.

Puis encore : puisqu’il y a germination depuis cette terre, nous devrions comprendre la vérité comme une opération d’échange avec les autres vivants ; mais aussi le minéral, le gazeux, ou l’eau sans lesquels nous ne saurions vivre. Elle appartiendrait à mes intérieurs les plus profonds, les plus originels, tout comme elle produirait ce temps présent qui est la vie même, en animant ma présence au monde.

Ainsi considérée, la vérité que chante ce verset ne serait pas seulement une opération mentale qui établirait entre une pensée et du réel une correspondance si solidement établie que je pourrais la partager avec tous mes semblables car tous, par elle, verraient la même chose que moi ; elle ne se limiterait pas à cet acte de vérification qu’est la vérité scientifique, voire elle fragiliserait son aboutissement qu’est la certitude et l’espèce de possession du monde qu’elle autoriserait ? Ou plutôt, non. Cette opération mentale de vérification est simplement remise à sa juste place : celle de participer à cette intelligence pratique qui me fait fabriquer des outils et organiser ma vie en interaction avec la nature tout comme mes frères et sœurs humains.

Car la vérité telle que nous la donne ce verset déborde la simple entreprise de correspondance : elle brillerait telle la lumière que reçoit et dans laquelle baigne une plante ; oui, une lumière qui m’éblouirait et me ferait crier : « Oui ce monde est vrai ! Oui ce monde est vivant ! Oui, ce monde est beau ! Et autant j’en découvre l’immensité et la profondeur, autant j’éprouve et ne cesse de redécouvrir combien j’en suis partie prenante et que rien ne m’en détachera ! » Et ce, cri que par elle je pousse, m’ouvre parfois à la contemplation silencieuse, parfois à la joie que je voudrais partager avec tous.

Si je rassemble les temps de cette méditation sur la vérité, elle m’apparaît donc comme ce souffle adameux qui me fait participer dès cette terre au Vivant ; un souffle qui organiserait ma vie pratique et engendrerait cette illumination intérieure qui ouvre aux vastes contrées de la contemplation ; un souffle encore qui me ferait bondir de joie car, par lui, depuis mes entrailles qui en frémissent encore, je me sais aimé, ou pour le dire avec les mots de Chouraqui : je m’éprouve comblé de chérissement.

Alors pour résumer cette vérité que nous peint le psalmiste, je la vois, en tant que poète, tel un éclat de Dieu en nous, telle une goutte de lumière qu’il nous aurait confiée et ferai de la poussière que nous sommes un vivant, comme Lui ; et, comme elle viendrait de Notre Seigneur, elle me distinguerait de toutes les autres gouttes qu’il a posé dans tous les hommes, et que je vois aussi (parfois). Autrement dit, ma singularité serait fondée sur son unicité. Telle serait le secret que porterait le mot vérité : se laisser nourrir par la sève de Dieu pour vivre et consonner avec le monde. Alors, nourri par cette méditation, je voudrai me redresser et me mettre en marche, et psalmodier : « Je marcherai en présence du Seigneur sur la terre des vivants » (AELF, Ps 114, 9).

La justice

Venons-en maintenant à la justice. Ce que nous dit le verset est qu’elle viendra du ciel, lorsque depuis les « cieux elle se penchera » (Bible de Jérusalem) vers nous, quand de là-haut, elle nous aura « regardés » (Bible de Sacy) car elle « s’observe des ciels » uniquement (Bible de Chouraqui).

Ce que je comprends est finalement très simple : malgré nos efforts, nul d’entre nous n’est un tiers « neutre » : si nous pouvons rendre justice, nous ne pouvons la faire. Car il ne s’agit pas seulement de permettre, suivant la racine latine de jus, ou de montrer, suivant la racine latine de judex, autrement dit, il ne s’agit pas de distinguer une chose par rapport à une autre, mais de joindre, d’unir à soi un acte et un dessein, en quelque sorte de nous élargir par ce que nous faisons ; or, cette colle qui le permettrait, c’est le regard du Seigneur, de Celui venu du ciel. Si la justice est la grande affaire de l’Ancien Testament, si elle est à ce point sacrée, c’est-à-dire, si elle a partie liée avec notre Dieu béni-soit-il, c’est que, justement, lui seul peut nous bénir en nos actes, dire oui à chacun d’entre eux pour, à la fois les faire nôtres, et ce faisant, les faire siens.

Dans le fond, la justice que nous présente ce verset dépasse la question morale qui interroge l’adéquation de l’acte et de son intention, comme précédemment la vérité qu’il proposait dépasse celle de l’adéquation du concept et du réel. La justice qui se penche depuis les cieux est celle du oui, celle qui agrée et dit oui à l’ajout d’une chose, d’un acte, d’un faire à ce que je suis en Dieu. Lui seul a ce pouvoir. Si nous pouvons nous interroger avec lui et dire : cet acte produira-t-il la paix entre les hommes et la paix sur terre, ce fruit divin et seul véritable ? Contribuera-t-il à notre prière quotidienne : « que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » et qu’ainsi cet acte serait joint à la divinité de Dieu en nous ? Convenons qu’une telle justice nous dépasse : Seul Dieu peut le dire et le dira.

Maintenant une voix me dit : « La justice viendra du Dieu-Abba et de nul autre que lui. Sois en sûr. Elle produira cet effet libérateur en toi et sur tous. Patiente, ne te désespère pas ». Elle ajoute aussi : « de la justice des hommes, fais preuve d’indulgence, fais preuve de patience, mais ne t’illusionne pas. »

Peut-être la croix du Christ est cette espérance et ce joug.

Peut-être que la Noël vient nous redire que la justice de Dieu, non seulement s’est penchée sur nous mais est venue jusqu’à nous, a pris chair en un temps et lieu donnés ; et que désormais, nul ne déchirera la peau divine dont elle a recouvert notre humanité.

Peut-être que le mystère de la nativité est simplement ce regard de berger qui, en découvrant l’enfant Jésus dans une mangeoire redirait cet autre verset magnifique : « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent. »

Amen, Amen, Amen.

Pierrick le Masne de Chermont

Kandinsky – Intime message, 1942.

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Kandinsky – Vers le haut, 1929

Public domain, via Wikimedia Commons.