Commentaire d’Anne-Marie Pelletier

Dimanche 27 novembre 2022

Isaïe 2, 1-5; Romains 13, 11-14; Mt 24,37-44
  1. « Vous savez» déclare Paul aux chrétiens de Rome – et, à travers eux, aux chrétiens que nous sommes – … vous savez quel est ce moment présent dans lequel nous vivons. Ce moment qui doit nous trouver éveillés, puisque, explique encore Paul, « la nuit est bientôt finie, le jour est tout proche».

« Vous savez », nous savons… Mais savons-nous jamais assez ? Savons-nous où nous en sommes de cette nuit « bientôt finie », qui dure pourtant, et de ce jour qui pointe, mais qu’il faut encore attendre ? Savons-nous où nous en sommes, en ce moment où la vie de l’Église est tellement ébranlée, douloureuse, et celle du monde, remplie de sombres incertitudes ?

Ce premier dimanche de l’Avent nous replace sous l’urgence de ce discernement. Il nous invite à accueillir cette question sous l’éclairage de la parole de Dieu, et sous l’horizon de la célébration de la Nativité du Seigneur. Ce point de fuite des semaines à venir, durant lesquelles nous allons ré-entendre les mots de l’espérance d’Israël et ceux de la Promesse, laisser cette espérance infuser en nous et faire grandir l’impatience de son accomplissement.

  1. Mais voilà que pour nous entraîner à l’intelligence de ce temps de l’histoire, pour nous permettre de nous tenir de façon juste dans notre aujourd’hui – ô surprise !- l’Évangile commence par nous décaler. Il nous déplace de l’instant présent en direction du futur. Il dilate notre regard en nous faisant considérer le terme de l’histoire.

Non pas cette fin du monde que nos sociétés fantasment anxieusement de toutes sortes de manières, en termes de désastre écologique, de suicide nucléaire ou d’épuisement de notre énergie à vivre, et que sais-je encore ? L’Évangile nous oriente vers l’heure finale, qui sera celle de « la venue du Fils de l’homme ». Mystérieux et décisif événement, qui dépassera la naissance à Bethléem, ainsi que toutes les venues du Christ qui nous sont données en partage, pour l’heure de façon encore voilée, sous les humbles apparences d’une présence sacramentelle. Alors, ce sera le retour du Christ dans sa gloire.

  1. Mais – prévient Jésus – ce jour viendra comme un voleur, sans crier gare. Il surgira au milieu de l’ordinaire de la vie du monde occupé à ses affaires, comme au temps de Noé et du déluge. Ce jour adviendra selon un plan de Dieu, caché dans le secret de ses pensées.

Ce jour, nous est-il rappelé encore, sera jour de jugement, où chacun devra répondre de sa vie. Oui, jour de jugement, car il faut bien que Dieu arrive à séparer définitivement en notre histoire, la nuit du jour, le mensonge de la vérité. Il faudra bien qu’éclate, au vu de toute la création, la victoire de la lumière sur toutes les forces de ténèbres. N’oublions pas : l’immense douleur de la souffrance innocente, à travers notre monde, est en attente de cette délivrance.

Mais – autre rappel porté par les lectures de ce jour – l’avènement du Fils de l’homme sera simultanément l’accomplissement de notre espérance inquiète et tenace. Celle de tout ce qu’évoque l’oracle du prophète Isaïe, que nous venons d’entendre : l’humanité vivant dans la concorde, accueillante à la parole qui vient de Dieu ; des peuples réconciliés, que l’oracle figure par le cortège des nations montant à Jérusalem. Et la paix, enfin la paix, quand la guerre sera éliminée, chassée, exclue de toute la surface de la terre.

  1. Voilà donc l’horizon que nous sommes invités à reconnaître, au seuil de ce temps de l’Avent, pour vivre Noël autrement que comme une bouffée sentimentale, ou une parenthèse de grâce vite recouverte par les soucis de nos vies, les noirceurs de l’actualité.

Car, de fait, nous n’en sommes pas encore au Jour final. Celui-ci est encore objet d’espérance, de désir, d’attente ardente. Et il ne faudrait pas que nous fassions semblant de l’oublier quand nous célébrerons la Nativité de Jésus. Ce qui serait faire de la foi un mirage, une parole irréelle. Nous sommes dans le temps de la nuit et du jour, toujours en interférence. Nous sommes dans le temps d’un accomplissement… encore inachevé.

  1. Telle est la vérité de ce moment, qui convoque les disciples que nous sommes, qui nous exhorte à rester éveillés, à tenir le combat de la vigilance et de la confiance.

A rester éveillés comme des guetteurs, qui savent que l’histoire humaine n’avance pas à l’aveugle, en roue libre, livrée à des divagations et des convulsions qui finiront par nous être fatales. Non ! Elle avance en direction du Jour final du Fils de l’homme, que dévoile la révélation portée par les Écritures.

Ce Jour où éclatera aussi la manifestation de cette vérité : Dieu règne. Une vérité dont nous avons à être les témoins, en attestant qu’il règne déjà, dès aujourd’hui, au sein même du clair-obscur où nous sommes encore plongés. Témoins de cette vérité lumineuse, qui éclaire notre regard de chrétiens, qui nous invite à « relever la tête » (Lc 21,28). Et qui veut se communiquer, se partager aujourd’hui, face à un certain discours ambiant qui remâche les thèmes de l’effondrement, de la « collapsologie », comme l’on dit… Ce qui implique évidemment aussi que nous soyons des guetteurs – cette fois – de ce règne de Dieu qui travaille notre monde, la lourde pâte de notre monde.

  1. Pour fortifier en nous cette foi et cette attitude, il nous faudra justement aller, de nouveau, cette année encore, jusqu’à Bethléem. Pour y faire l’expérience de ce que les lieux où Dieu nous donne rendez-vous sont décidément ceux auxquels nous ne penserions pas, où nous ne l’attendons pas. Pour y faire l’expérience de ce que nous ne savons décidément jamais assez…: cette manière dont il déploie sa puissance tout autrement que nous imaginons la puissance, au cœur de ce qui est le plus vulnérable, le plus faible : la vie donnée, l’amour offert.

Ce savoir ne nous est pas complètement naturel. Il s’acquiert dans l’écoute, le recueillement silencieux, aux aguets des traces de Dieu qui est venu, qui vient et qui viendra. Puissent ces jours de l’Avent nous trouver réunis, ensemble dans cette attention, dans cette attente et cette impatience, le cœur déjà ému de la grande joie qui éclatera dans la nuit de Noël.

Anne-Marie Pelletier