Victorieux du Mal

 

Dimanche 6 mars 2022

 

Luc 4, 1-13

 

Nous sommes au commencement de l’évangile de Luc. Jésus n’a pas encore appelé de disciples ; il ne s’est pas encore adressé à la foule. Il vient de recevoir le baptême de Jean, et, une fois reconnu comme Fils de Dieu par une voix venue du ciel, le voilà conduit à l’épreuve à travers des signes qui disent la radicalité d’un combat : il y a le désert, le jeûne, la durée symbolique des quarante jours.

Dans ce lieu désertique, le silence est brisé par l’insinuation assourdissante du Tentateur ; elle récapitule le combat qui fut au cœur de l’existence de Jésus : Quel esprit écouter ? Celui du maître, dominateur ? Ou celui du serviteur ? Et comment s’adresser aux hommes, ceux d’hier et d’aujourd’hui ? Vers où les conduire ?

Les trois défis sont posés :

– Jésus va-t-il faire que les pierres deviennent du pain ? Et s’imposer comme chef à des peuples qui resteront esclaves ?

– Va-t-il chercher sa gloire ? Et fermer son cœur au cœur des autres ?

– Va-t-il utiliser Dieu pour faire rêver ? Et tromper les hommes sur leur condition ? Et les diviser, et les opposer ?

Sa réponse s’oppose à Satan, sans hésitation. Elle est définitive. Mais cette réponse, en réalité, c’est tout au long de la vie de Jésus qu’elle va agir et révéler sa portée, à travers tant et tant de rencontres où des pièges lui seront tendus par des adversaires rusés, où des occasions de fuite lui seront proposées par ses amis : ainsi Pierre, le disciple qui l’exhorte à échapper à l’épreuve, et se voit aussitôt traité de Satan. Jusqu’au bout Jésus a énoncé la parole qui fait taire le mal pour que l’homme de tous les temps entre dans la vérité qui rend libre. Jamais il n’a imposé quoi que ce soit par cette violence qu’est la pression sur les consciences. S’il n’a pas transformé les pierres en pain, c’est qu’il ne voulait forcer personne à croire en lui. Il n’a recruté aucune troupe pour propager des idées : il a offert sa présence. Il a rencontré tous ceux qui étaient là : foule anonyme et désorientée ; malades souffrant dans leur corps et dans leur âme ; pour chacun, il a trouvé la parole et le geste qui apaisent. S’il multiplie le pain, plus tard, c’est pour que le seul vrai Dieu soit loué et que les hommes apprennent à faire de leur vie une offrande, un partage, une action de grâces. Au long des routes, au hasard des rencontres, il ouvre les cœurs, patiemment ; il sème une espérance dans l’histoire de chacun, comme le grain en terre, et en espère la croissance. Toujours, il attend une réponse libre. Il l’attend de nous aujourd’hui, toujours, sans se lasser.

L’épisode des tentations nous révèle la souveraineté véritable. Jésus n’a pas à se préoccuper de sa gloire. Il ne règnera pas par l’asservissement de tous, lui qui, de tous, est le serviteur. Il est venu nous dire que la vie était dans l’accueil de chacun. Mais il nous dit aussi que cela ne va pas de soi dans le monde des hommes car l’inhumanité rôde partout.

Nous aussi nous éprouvons les morsures du désert, et en ces temps-ci peut-être plus que jamais. Trop de situations de notre monde sont marquées par le mal. Les violences nous éprouvent, qu’elles soient guerrières, et envahissent des territoires, ou qu’elles émanent d’idéologies, et envahissent les cœurs pour les fermer les uns aux autres ; les cœurs comme les pays peuvent être dévastés. Et quand les pratiques ou les idées violentes en appellent à Dieu ou à la foi, à la foi chrétienne pour se justifier, cela devient satanique. C’est notre propre chemin qui est concerné, à la suite de Jésus.

Alors, aujourd’hui, contemplons Jésus, tenté mais victorieux du mal, pour nous laisser façonner par sa manière d’être. Ses réponses nous manifestent à quoi nous sommes appelés : aimer un seul Seigneur, l’aimer dans chacun de nos frères. Les moyens seront humbles et patients ; ils nous paraîtront insuffisants. Mais nous n’avons pas à rêver de transformer les pierres en pain ; nous n’avons pas à imposer la Bonne Nouvelle mais à la servir, en étant ses témoins.

Alors, le désert fleurira ; le pain se multipliera ; ce jour unique brillera éternellement. Nous vivrons en Dieu. C’est notre espérance ; qu’elle nous anime aujourd’hui, pendant quarante jours et au-delà, pour être en tout lieu désertique les témoins de la paix de Dieu, les témoins de l’Évangile.

Oui, Seigneur, ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du mal. Amen.

 

Henri Laux, sj