Bienheureuse hospitalité
Dimanche 11 juillet 2021
Marc 6,7-13; Amos 7, 12-15; Ephésiens 1,3-14.
Ces disciples envoyés deux par deux, avec rien dans les mains rien dans les poches, cela me rappelle un lointain été, quand j’étais novice jésuite. On nous avait effectivement envoyés deux par deux, sans un sou, pour faire ce que nous appelions un « pèlerinage ». Nous n’étions pas encore des apôtres chargés d’annoncer grand-chose, pas encore des jésuites exerçant une « mission » dans les campagnes ; nous n’étions que des novices. Pour discuter avec les gens, notre science était balbutiante, mais nous avions reçu pourtant le meilleur équipement, à savoir : l’hospitalité que nous allions rencontrer. Frapper à la porte des gens et demander l’hospitalité, être accueillis ici et refoulés là-bas, n’était-ce pas un bel exercice d’évangile ? et une belle première façon d’apprendre la vie missionnaire ?
Je m’explique. Pourquoi Jésus envoie-t-il ses disciples les mains vides ? La première raison, celle que nous donnait le maître des novices, est sûrement l’école de la confiance : vous vous en remettrez à l’hospitalité des gens, autrement dit vous vous en remettrez à Dieu. Vous partez « à la grâce de Dieu », vous apprendrez ce qu’il en coûte et combien il est beau de vivre dans la confiance. Vous serez peut-être un peu gênés de déranger, vous aurez le sentiment de vous incruster, de forcer la main, et il ne s’agit pas en effet de s’installer dans cette façon de faire et de vivre au crochet des gens. Mais faites l’exercice et vous aurez des surprises. Vous allez découvrir la saveur tout autre qu’auront certaines rencontres, vous verrez des gens surpris de leur propre audace à vous accueillir, émerveillés de la joie qu’ils y trouveront. Or cette joie et cette saveur, figurez-vous que c’est exactement la grâce de l’évangile. L’évangile que nous apportons au monde, ce ne sont pas d’abord des convictions, un arsenal de certitudes à transmettre. L’évangile, la bonne nouvelle évangélique, c’est de révéler aux gens la charité de leur propre cœur ; ou c’est d’offrir aux gens et de s’offrir à soi-même l’audace de l’amitié partagée. J’arrive chez vous les mains vides, vous m’accueillez, et nous partageons ensemble l’évangile de la charité. Nous n’avions pas encore échangé trois mots que déjà l’évangile était entré dans votre maison, par le mystère de la charité, et c’est sa plus belle façon d’entrer.
Voilà ce que le maître des novices pouvait nous faire miroiter. Et il y a un deuxième motif pour lequel Jésus envoie ses disciples les mains vides : c’est parce qu’ainsi ils ne pourront pas en imposer. On nous avait d’ailleurs prévenus : « N’allez pas chez M. le curé en lui disant que vous êtes des novices en pèlerinage, vous lui forceriez la main. Présentez-vous comme vous êtes, deux jeunes gens sur les routes, et laissez les gens libres de vous accueillir plus ou moins bien. » (De fait, ils devaient se sentir libres, si j’en crois mes souvenirs de quelques refus cuisants…)
Laissons les novices pour lesquels tout cela tenait du jeu ; en vérité, l’affaire est sérieuse. Pour savoir ouvrir leur porte aux disciples de Jésus, les gens devront puiser dans leurs vraies qualités, dans leur seule vertu d’hospitalité. On n’arrivera pas chez eux en faisant miroiter la grandeur de Jésus, sa puissance, ses promesses de félicité. Affichées prématurément, de telles promesses deviendraient un artifice mensonger. En tout cas, l’apôtre Paul était de cet avis, lui qui rappelle à ses amis corinthiens : « Je ne suis pas venu annoncer le témoignage de Dieu avec le prestige de la parole ou de la science. Non, je n’ai rien voulu savoir parmi vous que Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié. Je me suis présenté à vous faible, craintif et tout tremblant » (1 Co 2,2 s). Dans le même genre, rappelez-vous les prophètes bibliques, Isaïe, Jérémie, qui tous s’estiment trop incultes ou mal équipés pour honorer leur mission. Ou, illustration significative entre toutes, rappelez-vous Moïse : l’immense prophète et législateur d’Israël était un homme bègue au langage boiteux. Voilà une leçon de l’évangile : l’Esprit du Seigneur fait les plus belles choses à partir de nos moyens modestes.
Reste l’affaire de la poussière sous les chaussures : si vous êtes mal reçu, partez en « secouant la poussière de vos pieds ». Comment entendez-vous cela ? Geste de mépris ? refus de rien avoir à faire avec les vaux-rien ? Tout cela ne serait guère évangélique. Voyez-y plutôt un dernier indice de l’indispensable liberté. Si vous ne voulez pas m’accueillir, libre à vous, et je ne me permettrais pas de rien emporter de chez vous. Restons-en là. Je ne vous reproche rien. Notre rencontre n’a pas opéré, c’est tout. Je prie Dieu qu’elle opère une autre fois. Mon travail est de semer, pas de moissonner.
Bon été, frères et sœurs. L’été est la saison des moissons. Qu’il vous soit beaucoup donné en rencontres et en amitié. Souhaitons-nous les uns les autres de belles grâces d’hospitalité. Amen.
Prière universelle
Au Christ Jésus qui nous envoie sur les routes, nous adressons une prière universelle : Jésus, sauveur du monde, écoute et prends pitié !
Refrain: Jésus Sauveur du Monde, écoute et prend pitié.
- Seigneur Jésus, tu envoies tes disciples sur les routes et des missionnaires jusqu’au bout du monde. Que vienne ton Esprit sur l’Église, afin qu’elle soit audacieuse et inventive. Réapprends-lui sans cesse la joyeuse simplicité évangélique, la pauvreté dans le service et l’ardeur d’annoncer l’évangile. Nous t’en prions.
- Seigneur Jésus, tu nous encourages à une heureuse sobriété. Nous te confions toutes les personnes qui s’efforcent à un style de vie plus simple, plus respectueux de la nature, plus attentif aux relations humaines. Bénis leurs efforts, et aide-nous à progresser avec eux sur un chemin de sagesse. Nous t’en prions.
- Seigneur Jésus, tu ne souhaites sûrement pas que l’on manque de rien. Nous te confions les personnes qui sont injustement privées du nécessaire. Aide-nous à lutter contre toute forme de misère et de solitude. Envoie dans beaucoup de cœurs ton Esprit de partage. Nous t’en prions.
- Seigneur Jésus, ce temps d’été sera propice aux rencontres et à l’hospitalité. Nous te confions en particulier les joies familiales, entre parents et enfants, grands-parents et petits-enfants. Nous te confions toutes les personnes qui sauront donner ou recevoir l’hospitalité. Et nous te confions également les personnes isolées, celles qui redoutent la période d’été. Offre-leur des joies inattendues, nous t’en prions.
P. M. Roland-Gosselin