Dans la page d’Evangile que nous venons d’entendre, il est question d’aumône, de prière, de jeûne. voilà trois éléments marquants dans la vie chrétienne, mis en valeur tout spécialement dans le temps du carême qui pour nous, s’ouvre aujourd’hui. Ces appels, pour les entendre dans toute leur force et leur justesse, doivent être rapprochés de leur source, de leurs racines. Où est-elle cette source ?
Dans le texte d’Evangile qu’on vient de lire, on peut l’entendre quand il est question c1e « ton Père qui est présent dans le secret ». voilà le rendez-vous crucial auquel le carême nous invite. On en trouve une autre formulation dans l’extrait de la lettre de Paul aux Corinthiens qui nous a été lu : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu ». Voilà, formulé autrement, le grand rendez-vous que le carême nous propose.
On pourrait se demander : mais suis-je tellement en bataille avec Dieu, que je doive me réconcilier avec lui ? Ne suis-je pas déjà en paix avec lui ? Peut-être ! Mais ce à quoi le Seigneur nous appelle, c’est à une réconciliation de tout notre être, de la plante des pieds au sommet de notre tête.
Un bon indice pour détecter ce qui en nous demeure irréconcilié, c’est peut-être la peur. Tant qu’il reste de la peur en nous, cela veut dire qu’il a là quelque chose d’irréconcilié, quelque chose en nous qui n’est pas en paix , ni avec les autres. ni avec le monde. ni avec Dieu, ni avec nous-mêmes. Notre être demeure en attente d’une réconciliation pleine et entière , comme le monde attend aussi cette réconciliation.
Qu’est-ce qui nous met sur le chemin de cette réconciliation ? Nous avons entendu les recommandations de l’Evangile, l’appel au partage, à la prière, au jeûne, et surtout, ce rendez-vous au creux de tout cela
avec notre Père. Et le chemin vers ce rendez-vous , il nous est ouvert par le Christ.
Ce que nous célébrons le dit clairement. Tout spécialement aujourd’hui, où l’on peut voir dans les deux processions que nous allons vivre, comme un symbole de toute la vie chrétienne : tout d’abord, nous recevrons les cendres, qui invitent au dépouillement, à laisser de côté tout ce qui nous encombrer pour accueillir Dieu. Et une fois notre désir de lui faire de la place ainsi exprimé, la deuxième procession nous conduira à recevoir un petit morceau de pain. Celui qui nous le donnera nous le présentera comme le corps du Christ, et
nous dirons « amen », et nous le consommerons. A la fin de notre célébration, le corps du Christ, ce sera nous, qui avons chacun son corps. A la fin de la célébration, il n’y a plus rien sur l’autel : le mystère que nous avons célébré est passé en nous, il nous a été confié, remis comme un cadeau. A quoi cela nous appelle-t-il ? Peut
d’abord prendre soin de ce corps du Christ qui nous est remis. Prendre soin de son corps, c’est à dire de tout ce qui nous est donné, de ce qui nous relie les uns aux autres, de tout ce qui nous appelle à la vie, de tout ce qui permet à chacun de tenir debout aux côtés de ses fières et sœurs. Voilà le corps du Christ. Alors, prendre soin de tout cela ne va pas comme par enchantement, éliminer nos peurs, non, mais désormais, il y a quelque chose de plus fort qu’elles, de plus large, de bien plus vivant, si bien qu’à cette lumière, nos peurs, comme toutes nos autres failles, peuvent même jouer comme ce qui nous rapproche les uns des autres.
Prendre soin du corps du Christ : on peut s’étonner, se dire, mais moi ? suis-je capable de cela ? Puis-je moi, prendre soin de lui, de son corps, comme Marie a pris soin de lui quand il était enfant, comme ses
disciples en ont pris soin quand il était fatigué ou assoiffé, comme Joseph d’Arimathie a pris soin de son corps quand il a fallu le décrocher de la croix et le déposer dans un tombeau ? Puis-je moi, prendre soin de lui, de son corps ? Pouvons-nous prendre soin de lui ? Mais bien sûr ! Puisque tu reçois le corps du Christ, c’est que tu peux en prendre soin !
Et alors tu verras que le corps du Christ a ce pouvoir de réconcilier, il a ce pouvoir de nous réconcilier. Car il repose lui-même tout entier dans l’amour du Père, et il nous le communique, nous le partage. Et
puis, il est passé par le malheur, par nos violences, par l’humiliation. Mais rien de tout cela ne l’a arrêté ni ne l’ a anéanti. Son corps, c’est aussi une victoire. Précisément sur tout ce qui nous fait peur.
Je vous souhaite un heureux temps de carême : nous sommes en bonne compagnie. Car en prenant soin du corps du Christ, nous découvrons que lui a pris soin de nous, bien avant que nous y songions. Le chemin de la réconciliation était déjà ouvert, et lui, l’a déjà parcouru, jusqu’au bout.