Saint-Ignace 22 octobre 2023  19ème dimanche du temps ordinaire

Mt 22, 15 L’argent de l’impôt

P. Dominique Salin sj

« A César ce qui est à César… Et à Dieu ce qui est à Dieu ! »

Il ne s’agit pas là simplement d’une pirouette de Jésus pour clouer le bec à ses opposants, qui veulent sa peau.

Il ne s’agit pas simplement non plus d’un principe de théologie politique destinée à fonder la sainte laïcité : celle-ci ne verra le jour que vingt siècles plus tard, et encore : elle a manifestement des problèmes de croissance.

Il s’agit, beaucoup plus profondément, d’une vérité sur l’homme et sur le respect qui est dû à chaque être humain. Par les temps qui courent – ou plutôt qui claudiquent – il est plus urgent que jamais d’écouter ici Jésus.

C’est vers saint Augustin que je me tourne :

De même que César cherche son image sur une pièce de monnaie, Dieu cherche son image en ton âme. Rends à César, dit le Sauveur, ce qui appartient à César. Que réclame de toi César ? Son image. Que réclame de toi le Seigneur ? Son image. Mais l’image de César est sur une pièce de monnaie, l’image de Dieu est en toi[1].

Autrement dit : c’est toi que Dieu réclame. Pas ton argent : toi-même, ta vie, ta peau. Saint Augustin renvoie ici à la première page de la Bible, où il est écrit : « Dieu créa l’homme à son image. A son image, il le créa. »

Ici, Dieu réclame ce qui est à son image.

Mais l’objection surgit immédiatement : comment Dieu peut-il avoir créé l’homme à son image, puisque Dieu est celui dont on ne peut pas, et dont on ne doit pas, se faire d’image ? C’est même l’objet du premier commandement de la loi donnée au Sinaï : « Tu ne te feras pas d’images.[2] »

Oui mais l’Ecriture, par la voix de saint Paul, par la voix des évangélistes, nous dit aussi du Christ : « Il est l’image du Dieu invisible »[3]; saint Jean va jusqu’à faire dire à Jésus : « Qui m’a vu a vu le Père ». « L’image du Dieu invisible… » Quelle contradiction apparente ! Quel paradoxe !

Quelle est l’image de Dieu qui est au fond de mon être créé ? Quelle est l’image de Dieu qui est gravée au plus profond de mon cœur, mon pauvre cœur d’homme pécheur, pièce de monnaie couverte de la rouille et du vert-de-gris qu’y a déposées le péché ?

Si cette pièce de monnaie était décapée, quelle effigie verrait-on apparaître ? Celle du Christ. Le Christ est en moi, plus moi que moi.

J’ai été créé enfant de Dieu, à l’image de Dieu qui est le Christ.

Je suis le Christ. Nous sommes le Christ. L’Eglise est le Christ (« Vous êtes le corps du Christ », 1 Co 12, 27). L’humanité est potentiellement le Christ. Elle est destinée à former le corps du Christ.

Voilà ce que nous pouvons entendre dans la parole de Jésus qui rend la pièce au pharisien qui la lui tendait.

Voilà ce que j’entends lorsque je contemple l’une des plus belles images du Christ qui ait jamais été réalisée : le tableau du Titien, peint sous la Renaissance, en 1516. Il est au musée de Dresde. Vous le trouvez facilement sur Internet. Il est intitulé « L’argent de l’impôt », en anglais The tribute money. On y voit un Christ athlétique, pas l’androgyne trop souvent représenté par la peinture dévote. Le drapé du manteau lui fait un torse impressionnant, comme dans le célèbre portrait de François Ier peint par Jean Clouet à la même époque. L’encolure est puissante. Il domine le personnage cauteleux qui lui montre la monnaie de l’impôt. Il le domine, mais sans l’écraser. Il le regarde, il le regarde vraiment, dans les yeux, d’un regard où la tendresse, finalement, l’emporte sur la malice. « Mon pauvre garçon, tu n’as donc pas compris ? César attend qu’on lui rende la monnaie de sa pièce. Mais Dieu, c’est toi qu’il réclame, parce que tu es son enfant, à son image ».

Tous les hommes sont réclamés par Dieu, tous les paroissiens de Saint-Ignace, tous les Palestiniens, tous les Israeliens, tous les terroristes même, tous ceux qui peuplent les prisons, les condamnés politiques, les condamnés de droit commun, les violeurs et les assassins d’enfants.

Quel programme !

[1] Sermon 24 sur les évangiles, éd. Raulx.

[2] Exode 20, 4.

[3] Col 1, 15.