Messe d’action de grâce pour Yves Simoens
13 septembre 2024
Nul ne sera étonné d’un choix de lectures johanniques pour entendre la Parole de Dieu que Yves Simoens a tant aimé travailler et partager. En scrutant l’Écriture Sainte, et en la servant à travers ses enseignements, accompagnements et livres, Yves cherchait avant tout à « servir » la Parole de Dieu, pas tant celle qui est écrite et qui se lit, mais celle qui s’écoute à travers ce qui est écrit, et qui donne envie de prendre la parole à son tour. Comme le révèle le sous-titre de son dernier ouvrage, Servir l’Écriture Sainte comme Parole de Dieu, servir, pour Yves, c’était s’engager personnellement sur un « chemin de vie », et inviter généreusement les personnes qu’il rencontrait à se mettre en route sur ce chemin de vie. Alors, faisons de même ce matin alors que Yves nous réunit une dernière fois autour de la Parole.
Un chemin. Mais un chemin qui n’est pas si évident que cela à trouver. Lorsque, passant de ce monde à son Père, Jésus dit à ses disciples que « pour aller où je vais, vous savez le chemin », les disciples ne comprennent pas. Et Thomas se fait leur porte-parole : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment pourrions-nous savoir le chemin ? » Découvrir que le premier chemin, tracé dans les Écritures depuis l’Exode et qui passe par la mer, est Jésus lui-même… Découvrir que ce chemin inaugural, faisant passer de l’esclavage à la liberté promise, conduit de ce monde au Père de Jésus qui est aussi notre père : ces découvertes prennent du temps pour que notre intelligence s’ouvre, elles demandent de la patience pour que notre cœur comprenne, et font traverser des épreuves, surtout quand on croit le chemin sans issue, quand on l’a perdu ou quand l’impression de tourner en rond l’emporte sur tout le reste.
Pour Yves, et la célébration de ce matin nous le rappelle, le chemin à découvrir offre des balises : et ces balises sont les paroles de Jésus, celles que l’Écriture fait entendre. Yves avait saisi de l’intérieur, et par expérience, que « les paroles que Jésus nous dit, Jésus ne les dit pas de lui-même. » C’est la voix du Père qui se fait entendre à travers elles, la voix qui était au commencement de tout et qui conduit toute vie vers son accomplissement.
Un chemin à découvrir. Un chemin balisé. Mais ce chemin n’est pas sans embûche ni découvertes insoupçonnées. Yves en a fait l’expérience lors de son hospitalisation à Cochin début 2021 en pleine épidémie : dépaysement, solitude, impression d’être « tout perdu ». A son grand étonnement, de l’intérieur de cette sorte de déréliction, Yves a fait l’expérience d’une présence du Seigneur qui est venu à son aide comme jamais. Comment ? Grâce, m’a-t-il confié, à un florilège de textes qu’il se répétait tous les jours. Yves eut alors cette belle formule : « La grâce affleurait de l’intérieur de la disgrâce. » Exaucement d’une demande instante qu’Yves, perdu, formulait dans sa prière : retrouver celui qui avait disparu de sa vue. Exaucement sur le chemin déroutant de la Covid. « Quand vous me demanderez quelque chose en mon nom, moi, je le ferai ». Balise de la parole de Jésus sur le chemin d’Yves comme elle l’est aussi sur le chemin de chacun de nous.
La maladie – une leucémie diagnostiquée au soir du Jeudi Saint 2023 – a fait faire à Yves un pas de plus sur ce chemin qui le conduisait sur les pas de Jésus jusqu’au Père. Une simplification de la prière, imposée par la fatigue et l’épuisement. Mais surtout découverte de la prière comme un repos. Il me confiait que ce repos se répandait « sur toute sa journée en unifiant de la sorte les diverses sphères de l’activité ». Sur ce chemin de fatigue et de repos, un refrain de Taizé l’a beaucoup aidé, celui que nous avons chanté avec le psaume. Deux autres points d’appui aidaient Yves : l’eucharistie quotidienne et la vie en communauté. Deux lieux où la fraternité, celle de Dieu et celle des hommes se disent, se croisent et s’unifient. Deux lieux qui se rassemblent aujourd’hui.
Un chemin à découvrir, des embûches et des découvertes insoupçonnées, oui, mais, surtout, un chemin de vie. Cette vie dans laquelle Yves entre désormais pour toujours auprès du Père, c’est la vie qui l’avait mise en route sur le chemin des Écritures. Elle renvoie à une expérience de foi concrète, tangible, visible, audible : « ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous vous l’annonçons ». Yves a aimé transmettre cette « Tradition de l’Écriture » qui, loin d’enfermer les sources bibliques dans une lecture unique, ouvre un chemin de vie devant chacun. Un chemin qui fait entrer dans la joie parfaite et marcher dans la lumière.
Oui, Yves, entre maintenant dans « la vie éternelle qui était auprès du Père et qui s’est manifestée à nous ». Quant à nous tous, notre chemin continue à la lumière de la Parole. « Que votre cœur ne soit pas bouleversé », mais dans la paix et la confiance devant le chemin de vie que la Parole ne cesse d’ouvrir devant nous, comme elle le fait pour Yves.
Mon âme se repose en paix sur Dieu seul.
De lui, vient mon salut.
Oui, sur Dieu seul mon âme se repose,
Se repose en paix.
Père Thierry Lamboley sj