Homélie 4 juin 2023, Sainte Trinité
« Vivez en paix ! » exhorte Saint Paul à la communauté de Corinthe ! Dimanche dernier c’était la marque du Ressuscité quand Il rencontre les disciples : « la Paix soit avec vous ! » Pour avoir passé plus d’un an, suspendu aux nouvelles de l’Ukraine… on aurait tôt fait de se dire pourtant que la Paix est le problème de nos gouvernants, des Nations-Unies…Pourtant Ni Jésus, ni Paul, ne s’adressent aux Nations-Unies mais à des communautés chrétiennes… petites… en deuil… en construction…
En Irak, un employé du JRS me confie :
“ Du jour au lendemain, j’ai dû quitter notre ville Qaraqosh, avec ma femme et mes deux enfants, nous nous sommes retrouvés à Erbil, en pleine chaleur, à dormir dehors… Une nuit, en regardant les étoiles, j’ai pensé à la Sainte Famille qui avait dû fuir du jour au lendemain”… et malgré toutes nos difficultés… je suis devenu paisible à l’intérieur, pas toujours, pas toujours” La paix est d’abord une histoire d’intimité, sans relation avec ce qui est vécu… Une posture qui évite d’être dominé par ce qui est le ressentiment, la colère, la fermeture. Une relation intérieure qui s’ouvre…
Une jeune Yézidi, qui est très dynamique à JRS, me partage cela… “Abouna Antoine, je n’ai plus de famille… Mes trois frères, mes deux sœurs ont été enlevés par Daesh… ils sont portés disparus… Mon père, mes oncles ont été tués dans notre jardin. Une chose est difficile… C’est d’avoir été dur avec l’un de mes frères et l’une de mes sœurs… et de me dire que je n’avais pas de sens de ce que je vivais alors… Maintenant que je suis presque seul… j’ai ce sens” et bien qu’elle me dise que “cela ne l’aide pas beaucoup”, elle porte beaucoup de joie et de solidarité autour de lui.
A voir comme des témoins, chrétiens ou non, parviennent à vivre une forme de sérénité dans ce pays qui porte les stigmates des guerres passées : esprit de division, destruction, violence, colère rentrée, corruption… Il me semble que l’invitation de Paul, est d’ouvrir notre intimité et de passer du Dieu dont on disait qu’il “marche au milieu de nous” (première lecture), à celui qui “marche en nous”… Le Fils Unique, donné à chacun, dont nous consommerons le corps aujourd’hui… que l’on accueille pour demeurer en nous.
En vivant, en croyant que Dieu cherche à être présent en chacun, à nous décentrer, alors nous pouvons nous regarder les uns les autres, et échanger un baiser de paix / un signe de paix, autant pour attester que nous vivons de Lui, que pour reconnaître son action en l’autre. Le Père qui nous donne son Fils, ne crée pas seulement une relation en notre intime, mais crée par la même une connivence entre nous ou au moins nous permet de l’espérer… femmes, hommes, de divers bords politiques, de générations, de diverses tribus… unis par l’Esprit…
La mission de JRS en Irak qui regroupe justement des personnes de toutes confessions cherche à rejoindre tout le monde. C’est un sacré défi, car chacun et chacune aurait bien des raisons valables de nier l’existence de l’autre, au cœur de leur histoire toute marquée par des persécutions… la connivence a pris le pas. Notre travail social, dont la modestie est réelle, est, il me semble porté par cette expérience intime… pacifiante… pour témoigner d’une tonalité différente de celle du tribalisme et clientélisme, de l’esprit de chapelle dirions ici. L’école d’été qui commencera grâce pour partie à la quête de Carême à Qaraqosh regroupe des enfants et des encadrants majoritairement chrétiens mais aussi musulmans et répondra à l’invitation du Pape François lors de sa venue à Qaraqosh, c’est le moment de restaurer les liens qui unissent les communautés (Discours du Pape, 7 Mars 2021).
Vous pourriez peut-être vous dire que je suis un doux rêveur, mais je ne le suis pas plus que Paul et c’est un rêve, qui me fait travailler, lutter en confiance, ici comme en Irak travailler à un monde meilleur c’est se résoudre à ne pas le voir.
C’est le temps de la moisson dans la plaine de Ninive, la terre si desséchée par quatre mois à plus de 40 degrés sans une goutte de pluie, qui a bu le sang versé sous Daech, cette terre se pare de vert en Mars et les épis la font onduler en mai… Le pays porte l’espérance d’une résurrection, certains de ses habitants aussi… La moisson de la parole de Dieu n’a pas de saison, le semeur est sorti pour semer en chacun de nous… la paix est la marque de sa présence comme de sa germination…
Dieu nous ouvre intimement à sa relation, nous invite à une connivence, l’un et l’autre sont le fondement et l’objectif de tout travail social et politique, la paix est la marque de l’activité Trinitaire en chacun et chacune.
Bonne fête de la Trinité,
Merci.
Antoine P s.j