Passion selon St Marc

Cette liturgie des Rameaux est l’une des plus étonnantes de l’année. C’est sans doute la plus paradoxale, car nous commençons par acclamer un roi, puis dans un deuxième temps, nous nous surprenons à demander qu’il soit crucifié. Cette ambivalence raconte l’histoire du monde et celle de chacune de nos vies : celle de notre division intérieure.

Nous venons de lire la Passion selon St Marc. Nous sommes impressionnés par la solitude de Jésus qui  semble complètement abandonné. A Gethsémani, malgré l’avertissement de Jésus, les apôtres se rendorment trois fois. Juda le trahit, tous s’enfuient, puis dans la cour du grand prêtre, Pierre non seulement le renie, mais le maudit : « il jura : je ne connais pas cet homme ! ». Confronté à une suite de faux témoignages, ses juges rivalisent de cynisme. Jésus reste six heures, pendu sur la croix. Les trois premières heures, on ne cesse de se moquer de lui. Et les trois autres, l’obscurité envahit la terre. Or, dès que Jésus crie son abandon « Eloï, Eloï, lama sabactani », les ténèbres commencent à se dissiper : « l’obscurité se fit jusqu’à la 9ème heure, et à la 9ème heure, Jésus clama un grand cri » (Mc 15, 34). Se déroule alors comme ce qui s’est passé au commencement du monde, où les ténèbres ont fait place à la lumière, mais de manière imperceptible. De façon ultra discrète, dès le cri de Jésus, au moment où tout semblait irrémédiablement perdu, Dieu se met à reprendre possession de sa création,  Mais c’est à peine perceptible.

Il y a donc ce cri de Jésus. Normalement, un crucifié meurt d’épuisement, asphyxié. Il est incapable de crier, surtout à la fin car il n’a plus de réserve. Or Jésus crie. « Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne. » Mon cri, nul ne le prend, c’est moi qui le donne. Je le donne quand je veux.

C’est ainsi qu’on peut comprendre la réaction de l’officier romain. Il est stupéfait. Comment cet homme crucifié peut-il crier ? D’où lui vient sa force ? Il avait certainement entendu dire que cet homme avait été condamné pour messianisme. Cet homme ne peut venir que de Dieu !

Enfin, il y a ce rideau qui se déchire en deux. C’est le rideau du Saint des Saints du temple où aucun mortel ne peut pénétrer. Là où Dieu réside en son secret. Maintenant, le rideau ne fait plus barrière, tout le monde va pouvoir entrer. La porte est ouverte. Tout le monde pourra avoir accès à Dieu.

Dans tout l’Evangile de Marc, Jésus refuse absolument d’être appelé « Fils de Dieu ». C’est le fameux « secret messianique ». Personne ne peut savoir ce que veut dire « Fils de Dieu », s’il n’a pas vu Jésus crier, aller jusqu’au bout de la croix, jusqu’au bout de l’amour. Et c’est ce païen qui le premier le découvre.

Nous n’aurons jamais fini de comprendre nos Evangiles. Peu à peu, L’Esprit nous les dévoile, spécialement en ces jours saints. Accueillons-les.