6 décembre 2020 – par le Père Nicolas Rousselot sj

Marc, 1, 1 à 8

PREPARE-TOI ET REVIENS AU POINT DE DEPART !

Je voudrais d’abord faire un peu de géographie. C’est très intéressant, parce que là où Jean-Baptiste se trouve, il est au sud du Jourdain, tout près de la Mer morte. Il est exactement là où le prophète Elie a fait son départ vers Dieu – on le voit au second livre des Rois. Et l’on croit jusqu’au temps de Jésus que ce fameux prophète Elie doit revenir. C’est pour cela à mon avis que Jean-Baptiste est présenté dans l’Evangile vêtu comme Elie, avec un manteau en poil de chameau.

C’est aussi le sens du désert. Jean-Baptiste est bien en terre promise, mais cette terre promise est devenue malheureusement un désert. C’est-à-dire que le peuple a trahi l’Alliance. Et on voit Jean-Baptiste manger. Il mange des sauterelles parce qu’il est encore dans le désert, le lieu finalement de la désobéissance. Mais il mange aussi du miel : il est quand même en terre promise. Vous vous rappelez, cette terre où coule le lait et le miel : le lait, c’est ce qui nous est donné par les animaux ; le miel aussi, par les abeilles, ainsi que par la végétation. Ce sont les deux dons qui nous sont faits parce que l’homme pour les produire ne fait que les récolter.

Le deuxième point, qui est aussi passionnant, c’est qu’avant le prophète Elie, ce lieu précis est l’endroit où est arrivé le peuple de Dieu venant d’Egypte, à la fin de l’Exode. C’est là exactement l’endroit où il est entré en terre promise. C’est l’apôtre Jean qui dans son Evangile nous dit que Jean baptisait à Béthanie, au-delà du Jourdain. Là aussi, il faut lire toutes les indications : c’est bien « au-delà » du Jourdain, de l’autre côté. Comme si Jean baptisait à l’endroit où le peuple n’était pas encore entré en terre promise. Il y a là une signification théologique très intéressante : Jean-Baptiste nous dit : « il faut repartir au point zéro, au point de départ. Il faut repasser le Jourdain. » D’où la question du baptême.

Et c’est mon troisième point. Qui serait plutôt un point d’histoire. Jean-Baptiste est en train de proposer, d’inviter, à plonger – c’est le mot baptizein. À plonger dans le Jourdain une deuxième fois. Et on se demande : mais que fait Jean-Baptiste dans cet endroit si chaud, si brûlant du désert ? Pourtant il est le fils d’un prêtre, le fils de Zacharie, il devrait se trouver au temple… Eh bien il faut savoir qu’à ce moment-là, dans l’histoire d’Israël, il y a eu une grande crise. Il y avait à ce moment beaucoup de rites de purification : il y avaient les fameux moines de Qumran qui n’étaient pas très loin ; et aussi beaucoup d’autres rites. Pourquoi ? Parce que le temple ne remplissait plus son office. Le temple semblait corrompu, et c’est pour cela que les gens revenaient au désert et faisaient des purifications. Non seulement des purifications rituelles, mais aussi – on le voit chez Jean-Baptiste – de vraies purifications. Mais entre ces purifications qui existaient dans le Peuple de Dieu et celle qu’accomplit Jean-Baptiste, il y a une grande différence qu’il faut noter.

En effet les rites se répétaient sans cesse. Or là, on a vraiment l’impression que Jean-Baptiste offre un seul baptême. Habituellement les rites de purification, on les fait soi-même – un peu comme avant le covid on prenait de l’eau dans le bénitier avant d’entrer dans une église. Mais là, c’est un autre qui nous plonge dans l’eau. Il s’agit un baptême individuel, alors que souvent les rites sont collectifs. Pour conclure, on peut dire que Jean-Baptiste propose aux gens un acte quasi sacramentel. Et il nous est dit que les gens, en étant baptisés, confessaient les péchés à voix haute. Comme finalement le jour du Yom Kippour, vous vous rappelez, ce jour du grand pardon où tout Israël se met en pénitence et confesse les péchés. Or là il est bien dit : « ils se faisaient baptiser par lui en confessant leurs péchés ». Comme si tout ce qui est prévu au temple ne marchait plus. Et l’on a l’impression que Jean-Baptiste est le prêtre d’un nouveau culte qui supplante celui du temple ; il invite à une nouvelle manière de prier. On quitte la purification rituelle et on demande la vraie purification du cœur.

Et je vous donne un dernier point : c’est que Jean-Baptiste dit : « mon baptême est très important, il est quasi sacramentel… mais je vous annonce un baptême plus fort. Un baptême dans l’Esprit Saint. » Et à cet endroit il y a le coup de la sandale. Ce coup de la sandale vous semble peut-être anodin, mais pour moi il est extrêmement fort. Pourquoi ? D’abord parce qu’on va le retrouver en Matthieu, en Luc, mais aussi en Saint Jean, et aussi dans les Actes des Apôtres – cette mention que Jean-Baptiste a dit : « je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales ». Ça semble un détail, mais ça a une grande importance. Parce que nous savons maintenant que les rabbins engageaient des disciples – plutôt, les disciples demandaient aux rabbins, comme on demande à quelqu’un d’être pris en charge dans la rédaction d’un thèse ; et les rabbins demandaient en compensation : « oui, je vais t’apprendre la Torah, mais tu vas être à mon service. Tu vas faire mon linge, tu vas faire ma cuisine, tu vas nettoyer ma maison, etc. » Mais il y a une chose que la Torah interdisait de faire : c’est que les disciples déchaussent le maître, et notamment lui lavent les pieds. Et pourquoi ne pas dénouer la courroie des sandales du maître, du rabbin ? Parce qu’à ce moment-là je vais me mettre à genou. Et il ne faut surtout pas que je considère le rabbin comme Dieu. Dieu est Dieu. Et mon rabbin est peut-être génial… mais il est seulement mon rabbin. Or dans cet épisode, ce qui est formidable, c’est que Jean-Baptiste nous dit trois choses. Il dit : il vient derrière – mais il vient avant moi, et je suis derrière lui. Je suis son disciple. Mais non seulement je ne ferai jamais le dénouement de sa sandale, non seulement, deuxième chose, je pourrais à la limite délier la courroie parce que je peux vraiment me mettre à genou devant lui… mais troisième chose je ne suis pas même digne de défaire la courroie de ses sandales. On voit là que Jean-Baptiste a une image extrêmement profonde de celui qui va venir, du Messie attendu.

Je vous propose pour conclure quelques points pour la prière :

Tout d’abord, entendez la parole d’Isaïe que reprend Jean-Baptiste. Entendez-la en ce temps d’Avent : « préparez les chemins du Seigneur ». Comment se préparer ? St Ignace va nous dire : « comment se disposer ? ». Il faut d’abord faire silence. Me mettre en état d’écoute. Et puis me rendre disponible, c’est-à-dire prendre du recul par rapport à toutes les réalités auxquelles je suis attaché. Ma famille, mon travail, mes relations, peut-être ma relation privilégiée. Par rapport à ce que je veux faire. Mais plus exactement, prépare-toi, dispose-toi.

Mais j’entends aussi un autre mot, une autre injonction, dans la parole de Jean-Baptiste : reviens. Reviens au point de départ. Reviens au-delà du Jourdain. Reviens à ton baptême. Et prends quelque temps pour te demander : quelle direction est-ce que vraiment je veux donner à ma vie ? Quelles sont mes priorités ? Qu’est-ce que je veux changer ? Et là ce ne sera pas du volontarisme, parce que je vais en demander la grâce : une grâce d’intelligence, pour bien voir ce que je dois changer dans ma vie, et une grâce de force, pour pouvoir l’accomplir.

C’est ce que je souhaite à chacun de vous. Amen.