Il y a dans cette église de grands spécialistes de la vie d’Ignace de Loyola et de sa spiritualité. Je vais donc me contenter de vous raconter une petite histoire. Banale mais bien réelle. Elle m’est arrivée au début de ce mois.
Je quitte Bruxelles, en prenant le train. Ce train est bien rempli : plus une seule place assise libre ! Je dois rester debout entre deux compartiments. A l’arrêt suivant c’est pire : un grand nombre de personnes essaient de monter, dans la mauvaise humeur. Un des deux accompagnateurs de train est en colère en réagissant aux plaintes des voyageurs. Il hurle : « Si le train est complet, on ne peut rien y faire. Il devait y avoir neuf voitures à double étage et il n’y en a que six à simple étage. » Les voyageurs qui montent se faufilent jusque dans le corridor au milieu des sièges. Il fait chaud. C’est peu agréable. Je sens en moi la tension et la mauvaise humeur de certains voyageurs me rejoint. Effet négatif sensible et partagé.
Vingt kilomètres plus loin, nouvel arrêt en gare. Quelques voyageurs descendent, ouf ! Mais voici que tout un groupe d’enfants, revenant d’excursion, tentent de monter dans la voiture, accompagnés de leurs instituteurs. En effet des affiches sur les fenêtres révèlent qu’ils avaient réservé des places pour leur groupe, places occupées par d’autres voyageurs. Leurs enseignants demandent à l’accompagnateur de faire se déplacer ces personnes… mais pour aller où ? comme tout est rempli. La tension aurait pu continuer à monter. Mais quelques voyageurs ont décidé d’accueillir tout ce groupe avec le sourire et en blaguant. Parvenant même à détendre l’accompagnateur.
Le miracle s’est produit : d’abord nous expérimentons combien des corps peuvent se compresser ; ensuite des adultes libèrent effectivement des sièges que les enfants occupent : trois sur deux sièges. Mais surtout tout le monde commence à sourire, les visages des enfants heureux de leur journée d’excursion ont un effet positif sur chacun, même sur les voyageurs précédemment très excédés. Tout d’un coup les conditions qui semblaient désagréables, voire impossibles, sont perçues et vécues autrement : dans la bonne humeur ; les conversations commencent entre les personnes coincées dans les sas et qui jusque là se montraient très tendues.
Cela s’est passé dans un train des Chemins de Fer belges. Cela se passe tous les jours dans les trains de la SNCF. Cela vous est certainement déjà arrivé à vous également. Mais comment l’avez-vous vécu ? Comment cela s’est-il passé autour de vous ? Et surtout comment cela se passera-t-il pour vous la prochaine fois ?
Quand les circonstances sont frustrantes, nous sentons le combat des esprits : Vais-je cracher mon venin en maudissant les transports en commun ? c’est si facile, et puis il faut bien un coupable à ma gêne ! Ou bien vais-je repérer les petits signes positifs autour de moi, m’en réjouir, les révéler et les amplifier. D’abord en moi, et ensuite autour de moi. N’est-ce pas ainsi que se produisent les miracles ? changer notre regard sur la situation et constater qu’elle change. Merci à cet inconnu à ma droite qui a choisi cette voie.
Et merci à Ignace de nous avoir donné les clés pour être libres. Repérer en nous les mouvements, discerner en nous la nature et l’origine de nos pensées. Et choisir ce qui conduit à la gloire de Dieu. Il nous enseigna aussi la relecture : voir comment cela s’est passé, pour en demander pardon ou bien en rendre grâce et apprendre pour la prochaine fois. Ce n’est pas tous les jours qu’on choisit son état de vie, ses études ou sa profession. Pourtant c’est chaque jour que nous franchissons de petits carrefours : qu’est-ce que je choisis ? vais-je me laisser inonder par des pensées de malédiction et vais-je arroser mon entourage de mes frustrations ? ou bien vais-je choisir les pensées et paroles de bénédiction ?
« Tout ce que vous faites : manger, boire, ou toute autre action – prendre le train ou le métro – faites-le pour la gloire de Dieu. Ne soyez un obstacle pour personne ». Et Paul ajoute : « Ainsi, moi-même, en toute circonstance, je tâche de m’adapter à tout le monde, sans chercher mon intérêt personnel, mais celui de la multitude des hommes ». Ces paroles peuvent prendre un accent très concret, si vous les relisez dans votre quotidien, et spécialement dans les frustrations du quotidien.
Ce jour-là il était facile de crier : « Vous voyez bien que nous sommes trop nombreux ; il n’y pas de place pour tout le monde ; nous ne pouvons pas accueillir tout ce monde dans notre train. » Et pourtant à l’expérience, on découvre qu’on peut vraiment être plus nombreux que ce qu’on pensait. On découvre que ceux qui sont arrivés en derniers sont précisément ceux qui ont rendu le voyage souriant et agréable, même si nous étions encore plus serrés. Toute ressemblance avec ce que nous vivons en termes de politique d’accueil, est bien entendu tout à fait fortuit… ou peut-être pas ? Peut-être était-ce aussi une parabole pour notre vie en société. Car si Ignace aide à changer mon regard et mon comportement, c’est aussi pour que le monde soit changé et devienne meilleur.
J’oubliais de vous dire : si je me suis retrouvé dans ce train-là c’est parce que le métro qui me conduisait à la gare est resté bloqué cinq minutes entre deux stations ; j’avais donc raté le train précédent. Double frustration ou bénédiction au carré ?