3e dimanche de Pâques (Père Erwan Chauty )

(Ac 2. 14. 22b-33 ; 1 P 1, 17-21 ; Lc 24, 13-35)

En lisant cette page de l’évangile, j’entends une voix qui murmure à mon oreille : κράτιστε Θεόφιλε ! κράτιστε Θεόφιλε ! Ce sont les mots, en grec, par lesquels Saint Luc avait commencé son évangile. Je traduis : « excellent Théophile » Ou même, si je traduis le prénom : « excellent ami de Dieu ».

En effet, Luc commençait son évangile en s’adressant à son lecteur. Il disait : κράτιστε Θεόφιλε, excellent Théophile, je me suis bien renseigné auprès des témoins, et je t’ai écrit ce livre bien organisé, pour que tu te rendes compte de la solidité des enseignements que tu as reçus.

Et Luc termine son évangile par trois scènes, trois apparitions du ressuscité ; nous venons d’entendre la deuxième. En la lisant, cette voix qui ouvrait le livre doit nous revenir : κράτιστε Θεόφιλε, excellent Théophile, comment vas-tu conclure ta lecture ? Est-ce que tu es tout triste, le cœur lent à croire, ou bien le cœur brûlant ? Est-ce que tu as les yeux empêchés de voir, ou bien les yeux ouverts ?

Oui, excellent Théophile, à la fin de l’évangile de Lc, tu es comme les deux disciples qui marchaient vers Emmaüs[1]. Tu as reçu le témoignage de tout ce qui s’était passé, de ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth. Tu as lu tout au long de l’évangile que Jésus de Nazareth était un prophète puissant par ses actes et par ses paroles, devant Dieu et devant tout le peuple. Et il a été livré, condamné à mort, crucifié, alors que ses disciples espéraient que c’était lui qui allait délivrer Israël. Et, excellent Théophile, à la fin de l’évangile, tu as reçu une chaîne de témoignages : tu as lu que les disciples disent que des femmes racontent que des anges leur ont dit que Jésus était vivant. Mais toi, tu es comme les disciples : le corps de Jésus, tu ne l’as pas vu.

De même, excellent Théophile, tout au long de l’évangile, tu as lu les citations de l’Ancien Testament que Lc avait placées bien souvent, pour interpréter le destin étrange de Jésus de Nazareth, pour montrer aussi qu’il est, de manière inattendue, celui qui accomplit les Ecritures. Comme les deux disciples, tu as entendu dans toute l’Ecriture, ce qui concernait Jésus, en partant de Moïse et de tous les prophètes.

Mais, excellent Théophile, le corps de Jésus, tu ne l’as pas vu. C’est pour cela que l’évangéliste Luc raconte une scène inattendue. Une scène qui, historiquement, s’accomplit chaque dimanche dans l’Eglise : nous nous arrêtons sur notre route, nous entrons ensemble dans une maison, nous nous rassemblons autour d’une table, et l’un d’entre nous, prend le pain, prononce la bénédiction, et, l’ayant rompu, nous le donne. C’est le rite que nous appelons la fraction du pain, ou aussi l’eucharistie, ou la messe.

Voilà, cher Théophile, la conclusion de l’évangile : tu n’as jamais vu le corps de Jésus, et ce n’est pas la lecture d’un évangile qui pourrait te le faire voir. Mais tu vas voir l’Eglise qui célèbre le rite de la fraction du pain. Une question surgit, pour toi : vas-tu reconnaître le Seigneur ressuscité dans cette célébration ?

Κράτιστε Θεόφιλε, excellent Théophile, le seul chemin, que tu es libre de prendre ou de ne pas prendre, c’est de regarder notre rite de la fraction du pain, non pas les yeux fermés, mais avec les yeux de la foi[2]. Si tu le décides, les yeux de la foi te feront voir, dans l’Eglise qui se rassemble pour la fraction du pain, le corps du Seigneur ressuscité.

[1]              Cf. Corina Combet-Galland et Françoise Smyth-Florentin, « Le pain qui fait lever les Ecritures », Etudes théologiques et religieuses 68/3 (1993).

[2]              Cf. Pierre Rousselot, « Les yeux de la foi », Recherches de science religieuse Tome premier (1910).