3 décembre 2020 – par Sr Agata ZIELINSKI, xavière
Lorsque j’étais étudiante à Paris, il y avait une coutume entre les aumôneries d’étudiants de la banlieue sud de Paris. Nous nous retrouvions tous les ans pour célébrer ensemble le Jeudi Saint. Une année, le jésuite qui était alors aumônier de Centrale (Paul Legavre) nous avait lu – nous avait proclamé, de sa voix inimitable – un passage de la lettre de François-Xavier aux étudiants en Sorbonne.
« J’ai très souvent eu l’idée de parcourir toutes les universités d’Europe, et d’abord celle de Paris, pour hurler partout d’une manière folle et pousser ceux qui ont plus de doctrine que de charité, en leur disant : « Hélas, quel nombre énorme d’âmes, exclu du ciel par votre faute, s’engouffre dans l’enfer ! »
Beaucoup d’entre eux, bouleversés par cette pensée, aidés par la méditation des choses divines, s’entraîneraient à écouter ce que le Seigneur dit en eux et, en rejetant leurs ambitions et leurs affaires humaines, ils se soumettraient tout entiers, définitivement, à la volonté et au décret de Dieu. Oui, ils crieraient du fond du cœur : « Seigneur, me voici ; que veux-tu que je fasse ? Envoie-moi n’importe où tu voudras, même jusque dans les Indes. »
J’ai toujours ces mots de François-Xavier et la voix de Paul dans l’oreille. Et en particulier lorsque, dans une retraite selon les Exercices spirituels de saint Ignace, arrive le moment de la méditation du Règne.
La méditation du Règne, c’est ce moment des Exercices où le retraitant est invité à réveiller en lui l’élan généreux qui le fait se mettre au service du Christ. Et c’est là que je réentends la voix de Paul, comme si c’était la voix de François-Xavier lui-même. Mais la méditation du Règne, c’est encore l’invitation plus pressante du Christ à nous offrir à sa suite, à venir avec lui pour rassembler « les enfants de Dieu dispersés » (So 3, 10), « rassembler tous les peuples de la terre » (So 3, 20) comme le dit Sophonie, pour les offrir au Père. Et j’imagine François-Xavier animé par ce grand élan du Règne, lorsqu’il part aux Indes, puis au Japon, et jusqu’aux portes de la Chine.
Mais quelle est la source de ce grand élan, de ce grand désir que « tous les peuples invoquent le nom de Dieu et le servent » (So 3,9), ce désir missionnaire que « toutes les nations se fassent disciples » (Mt 28,19) ?
Il me semble que les textes de ce jour nous donnent quelques clefs.
• La première clef, c’est la joie. On l’entend chez Sophonie (3,14) : « Pousse des cris de joie, fille de Sion ! Éclate en ovations, Israël ! Réjouis-toi, de tout ton cœur bondis de joie, fille de Jérusalem ! ». La première clef, c’est l’expérience que nous pouvons faire nous-mêmes de la joie, l’expérience de trouver notre joie dans le Seigneur. L’urgence d’annoncer la Parole, telle que nous la décrit l’épître aux Romains (Rm 10, 14), n’est pas une urgence extérieure, une urgence de catastrophe. C’est d’abord une urgence intérieure : l’urgence de ne pas garder pour soi seul le bonheur qui vient de Dieu, la joie d’être au Christ, de l’aimer et de le servir. Ce que nous désirons d’un grand désir, c’est que d’autres connaissent cette joie, que tous participent à la joie de Dieu.
Qu’est-ce qui fait notre joie ? – La réponse tient en un petit mot : « avec » – avec le Christ.
• Ce petit mot, « avec », c’est la deuxième clef du grand élan, du grand désir qui animait François-Xavier. Ce « avec » est au cœur de la méditation du Règne : c’est l’appel à vivre avec le Christ, à travailler avec lui et à sa façon, à « peiner avec lui pour être avec lui dans la gloire », dans la joie. Ce « avec » signe notre attachement au Christ.
Mais ce petit mot « avec » est aussi l’ultime promesse du Christ dans l’évangile de Mathieu que nous venons d’entendre : « Et moi je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). C’est la proximité et la fidélité de Dieu sur laquelle nous pouvons compter au quotidien : un Dieu compagnon, un Dieu ami.
Nous avec lui, lui avec nous.
Toute la mission se joue entre ces deux « avec ». Animé par le désir de vivre et travailler avec le Christ, celui qui est envoyé découvre que c’est d’abord le Christ qui est avec lui. L’envoyé est précédé. Le missionnaire qui voulait « apporter » le Christ aux autres est finalement appelé à découvrir le Christ chez les autres. Appelé à apprendre du Christ sa façon d’aller à la rencontre de l’autre et se laisser transformer.
Être missionnaire, c’est nous laisser accompagner par lui dans nos rencontres, nos découvertes et nos déroutes, nos joies et nos peines. Être missionnaire, c’est vivre avec le Christ, apprendre de sa façon d’être, son style. Jusqu’à pouvoir dire : « Et j’ai vu désormais le monde à sa façon ».
Demandons la grâce de cultiver l’ardent désir de partager ce qui fait notre joie. Demandons la grâce d’être et de vivre toujours davantage avec le Christ qui nous accompagne dans les Galilée de nos existences.
Agata ZIELINSKI, xavière