« Si tu savais le don de Dieu »  (Jn 4,5-42)

L’évangile de la Samaritaine que nous entendons ce 3e dimanche du Carême éclaire particulièrement le cheminement des catéchumènes qui, pendant ce temps liturgique, se préparent à recevoir le baptême. Mais il éclaire aussi d’une lumière nouvelle la progression spirituelle de tout un chacun de nous et le chemin de conversion qui nous conduit vers la vie nouvelle de Pâques. Entrons dans cet évangile en nous laissant d’abord guider par une composition de lieu et par les symboles qui s’y trouvent :

  • Tout commence avec le nom de la ville où Jésus s’arrête : « Sykar » peut signifier en hébreu « qch est bouché » : la vie ne circule plus, une communication devient impossible, le manque peut donc s’installer et faire naître le désir d’un mieux – que de fois n’avons-nous pas l’impression dans nos vies que quelque chose est bouché, nous empêche de respirer librement et interdit à notre vie de se déployer ?
  • L’évangéliste nous met devant les yeux un Jésus fatigué, éreinté par la route – tout comme nous pouvons ressentir des moments de fatigue ou de déprime au sortir de l’hiver, pris par un travail stressant, en ces temps bien agités et incertains (guerre en Ukraine, contestations dans la rue et grèves, inflation…).
  • Le récit se situe en plein jour, à midi, au moment de la plus grande luminosité : les ombres sont minimales, les choses et les personnes apparaissent telles qu’elles sont, à moins que la chaleur trop forte ne les entoure d’un halo de flou. Petit espoir : qu’est-ce qui pourrait se montrer et devenir plus clair pour nous ?
  • L’évangéliste parle de la « sixième heure » qui sera aussi celle de la mort de Jésus sur la croix, du don suprême de sa vie par amour pour nous. Or, le nombre six est synonyme de toutes les peines de nos labeurs et du caractère limité de tout ce qui peut être réalisé sur terre. Il précède le chiffre parfait sept, celui de l’accomplissement. Qu’est-ce qui en nous et autour de nous attend d’être mené à son terme ? Quels besoins, quels désirs sont encore inassouvis en nous ?

Le premier besoin pour tout homme, c’est de boire, de se désaltérer. Or, toute la 1ère partie de l’évangile tourne autour de l’eau : l’eau que Jésus demande à la femme, le puits et la source, l’eau vive et l’eau qui étanche toute soif. Le besoin le plus élémentaire ouvre ainsi l’horizon à toutes les aspirations d’un être humain. Et Jésus renforce encore cette soif en interpellant la Samaritaine : « Si tu savais le don de Dieu ! » Il est bon de laisser résonner en nous aujourd’hui ce cri : « Si tu étais ouvert à l’amour d’en haut, si tu étais habité par une confiance foncière en Dieu, ton Créateur, si tu allais davantage en profondeur plutôt que de rester à la surface des choses et des êtres, qu’est-ce qui n’apparaîtrait pas à tes yeux ? »

Oui, mais nous avons l’habitude de nous débrouiller tout seuls, d’être les artisans de notre bonheur et de garder la maîtrise des choses. A ce point du récit, une conversion fondamentale nous attend : celle d’ouvrir les mains pour recevoir, d’être assez humbles pour demander à autrui et à Dieu ce qui nous manque. Jésus est, justement, venu apporter cette eau vive, rafraîchissante et vivifiante ; il nous a ouvert le passage vers la vraie vie, celle à laquelle nous aspirons sans jamais y arriver vraiment. Cette eau, qui symbolise celle du jour de notre baptême, Jésus lui donne une intensité nouvelle dans son entretien avec la Samaritaine en parlant d’une « source jaillissant pour la vie éternelle ». Ce qui nous est donné par le Christ, c’est l’Esprit-Saint, la participation à la vie même de Dieu qui nous renouvelle de l’intérieur de manière définitive, au fur et à mesure que nous consentons librement à cette grâce et la faisons fructifier. « Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n’aie plus soif ! Que jaillisse et coule en moi le jet de ton amour, qu’il irrigue mes terres arides et me donne de porter beaucoup de fruit ! »

Or, ce dont nous avons le plus besoin, outre la nourriture et la boisson, n’est-ce pas l’amour ? D’être aimés et acceptés tels que nous sommes, d’exister aux yeux de l’autre et grâce à l’autre, de nous donner et recevoir les uns des autres ? « Je n’ai pas de mari » reconnaît la Samaritaine, attristée et résignée, devant Jésus qui lui demande d’aller chercher son époux. « Malgré toutes mes tentatives, je n’ai pas trouvé celui qui me convenait vraiment, qui me comprendrait à mi-mots, que je pouvais chérir plus qu’aucun autre, avec qui j’aurais pu construire une famille, affronter le présent et l’avenir. » En ce point du récit, alors qu’elle pouvait apparaître superficielle ou provoquante au début, la Samaritaine acquiert soudain une épaisseur humaine, une consistance réelle. Ses échecs répétés, sa désillusion et sa vulnérabilité, reconnus en toute honnêteté, la font passer à un autre niveau, là où Jésus l’attend depuis le début et où il va pouvoir la faire accéder à la vie des enfants de Dieu.

Aussi n’est-il pas étonnant que l’évangile, après la soif de l’eau et le désir de relations fondées sur l’amour, thématise en 3e lieu la relation avec Dieu. Ici encore, bien des barrières tombent dans notre récit, puisque Jésus ose affirmer qu’il est le Messie, l’envoyé de Dieu que Juifs et Samaritains attendaient chacun de leur côté et qu’ils vont pouvoir adorer en esprit et en vérité avec tous les hommes. Jésus n’hésite pas à se donner à reconnaître à cette femme anonyme, rencontrée par hasard au bord d’un puits et qui a su lui confier son désarroi et sa solitude : « Je le suis, moi qui te parle. » Et voici que la Samaritaine, telle Marie Madeleine au matin de Pâques, devient pour les gens de son village le témoin privilégié qui leur apporte la bonne nouvelle et l’intermédiaire qui les conduit vers Jésus Christ. Elle qui, isolée au départ et fermée à l’hôte étranger, s’est laissée entraîner par lui dans une relation vraie, faite de confiance mutuelle, qui l’a transformée et lui a permis de trouver sa juste place.

En ce 3e dimanche du Carême, sachons nous ouvrir à Celui qui est de toutes les rencontres. Laissons-nous toucher dans notre vulnérabilité et conduire par Jésus et son évangile vers la vie en plénitude. La source d’eau vive a déjà été creusée en nous lors du baptême – que le récit de la rencontre réussie de Jésus avec la femme samaritaine nous encourage à y revenir souvent, en commençant déjà par enlever les obstacles qui peuvent la boucher !

  1. Josy Birsens sj