Le Secret messianique

Dimanche 5 septembre 2021

Is 35, 4-7a ; Jc 2, 1-5 ; Mc 7, 31-37

C’est une très belle page d’évangile. Cette guérison de quelqu’un qui est à la fois sourd et qui a du mal à parler est propre au récit de Marc, unique dans les 4 Évangiles. Marc rédige comme un scénariste, il nous décrit tous les gestes de Jésus, les uns après les autres, ainsi que la réaction très progressive de cet homme.

Je voudrais aujourd’hui aborder un point précis, une sorte d’anomalie, quelque chose de difficile à comprendre et que l’on retrouve souvent après les guérisons ou les événements importants, à chaque fois que Jésus dévoile un peu de sa personnalité profonde de Fils Unique du Père. A chaque fois, Jésus impose le silence sur son identité, et spécialement dans l’évangile selon Saint Marc.

Reprenons tout d’abord quelques pages de cet évangile. Vous vous rappelez, au début du ministère de Jésus, dans la synagogue de Capharnaüm, il y a dans l’assemblée un possédé d’un esprit impur qui dès que Jésus parle, vocifère : « Je sais qui tu es, tu es le Saint de Dieu ». A ce moment-là, Jésus lui dit aussitôt : « tais-toi ! ». Ici, on comprend cette consigne de silence, car ce n’est pas aux démons de dire qui est Jésus, ni de répandre la Bonne Nouvelle. Mais, quand Jésus guérit un lépreux, quand il guérit la petite fille de Jaïre, quand il guérit l’aveugle de Béthsaïde et aujourd’hui le sourd-muet, comment comprendre cette consigne de silence qui semble irréaliste.

« Alors, Jésus leur ordonna de n’en rien dire à personne ». Que voulez-vous, ce n’est pas réaliste de la part de Jésus ! C’est même un peu agaçant. On a envie de dire à Jésus : – Quand on guérit un sourd-muet, on ne peut pas ensuite lui demander de se taire, car il n’a jamais parlé ! Il faut choisir, ou tu guéris et tu laisses cet homme exprimer sa joie avec ses amis, ou tu ne le guéris pas !». On ne peut pas demander aux gens l’impossible. Et puis ce sont des Méditerranéens, il faut bien qu’ils s’expriment, qu’ils manifestent une expressivité avec moult gestes. Pardon pour les Méditerranéens qui sont parmi nous, mais vous voyez bien ce que je veux dire. Et on voit que ça ne marche pas : « Plus Jésus leur donnait cet ordre du silence, plus ils le proclamaient ! »

Mon deuxième point. Cette consigne de silence va courir tout au long de l’Évangile de Marc. Elle a donc une signification, et pas seulement au moment des guérisons, mais particulièrement avec les disciples. Rappelez-vous, Pierre, Jacques et Jean, lorsqu’ils descendent de la montagne de la Transfiguration, Jésus leur donne une consigne très stricte. Et puis il y a ce moment-clé où Jésus emmène les Douze vers le Mont Hermon, vers le Liban. Il leur demande : « Que disent les gens ? », et puis « Pour vous qui suis-je ? ». A ce moment-là, Pierre prend la parole au nom des Douze et dit : « Tu es le Christ ». Tout de suite, vient l’avertissement. « Alors, il leur défendit vivement de n’en parler à personne ». Mais il y a du nouveau : « Jésus commença à leur enseigner qu’il fallait que le Fils de l’Homme souffrît beaucoup » et aille à Jérusalem pour sa Passion. Il est dit : « Jésus disait cette parole ouvertement ». Nous sommes à un point-clé de l’Évangile. Jésus demande le silence mais Il révèle aux Douze ce que les théologiens appelleront plus tard « le secret messianique ». « Je vous ai demandé le silence, dit Jésus, car à chaque fois j’ai dévoilé ma personnalité. J’ai dû le faire en toute discrétion parce que les gens m’auraient pris pour un super guérisseur, un messie aux super pouvoirs ou un messie politique, ce que je ne suis pas. Mais là, je vous dis mon secret, je crois que vous êtes prêts à l’entendre : je suis en fait le serviteur souffrant que le prophète Isaïe annonça voici quelques siècles. »

A l’époque de Jésus, on le sait maintenant, presque tout le monde avait oublié ces passages obscurs du livre d’Isaïe. Vous connaissez la suite, Pierre prend Jésus à part et « se mit à lui faire de vifs reproches ». – Mais non, avec nos réseaux, tu n’as rien à craindre ; on va te protéger et tu vas pouvoir aller à Jérusalem faire ce que tu dois faire. Pierre va prendre la remontrance carabinée de sa vie : « Passe derrière moi Satan, tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes ». Il y a quelque chose de pathétique. Jésus a cru que les Apôtres étaient capables d’entendre le secret et ce secret est impossible à accueillir. Nous c’est facile, on vient vingt siècles après. Comment reconnaître l’identité du messie de Dieu, comment croire que sa gloire, sa Sainteté, s’exprime au moment où il va mourir comme un maudit. Accueillir ce secret est impossible, impossible, impossible.

Mon troisième point. Ce secret messianique, avec cette intimation au silence pour entrer peu à peu dans ce secret, est si important qu’il est en fait le fil rouge de l’Évangile de Marc. Très brièvement, voici les trois étapes, les trois lumières qui dans l’obscurité, balisent ce chemin progressif du secret. La première balise se trouve au moment du baptême de Jésus, au tout début de l’évangile. C’est la phrase que seul Jésus va entendre : « Tu es mon Fils bien aimé, en Toi j’ai mis tout mon amour ». C’est la phrase du secret. La deuxième balise est la phrase que je viens de commenter, la phrase de Pierre au milieu de l’évangile « Tu es le Christ ». Cette parole est juste mais elle ne dit pas tout le secret. Elle nous rappelle que nous pouvons dire des choses justes sur Jésus tout en se trompant par ailleurs complètement sur qui il est vraiment. La troisième balise est vraiment incroyable. Elle se situe le jour du Vendredi Saint, au moment où le centurion, celui-là même qui a commandé la crucifixion de Jésus, se met à proclamer le secret. Il entend Jésus pousser un grand cri, puis dire cette phrase à première vue sidérante : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Et il voit Jésus mourir. A ce moment-là il proclame le secret : « Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu ! ». Lui qui était le tortionnaire de Jésus, il est lui-même transpercé. Il voit la gloire, la sainteté se révéler dans un homme abandonné de Dieu.

Maintenant, la conclusion. Au moment où nous amorçons notre rentrée, cet évangile rappelle à chacun que notre foi se vit comme un itinéraire. Pour comprendre peu à peu qui est Jésus, il y a mon expérience avec l’Esprit Saint. Malgré tout, il y aura toujours un décalage. L’Évangile de Marc est sans cesse parcouru par un décalage entre les disciples et Jésus. Ce décalage d’aujourd’hui, il se loge dans les absences apparentes de Jésus, son apparent silence dans le monde, ses manières pédagogiques si paradoxales. Quand il m’arrive de faire une rencontre profonde de lui, il m’envoie toujours au delà de ce que j’ai pu comprendre de son passage dans ma vie, exactement comme les Apôtres. Donc, je garde ce décalage en mémoire, il fait partie de l’itinéraire, il fait partie du « package ».

Il y a aussi ce 2ème point. Si je prends le temps du dimanche- on est peu de Chrétiens maintenant à offrir le dimanche- on n’est pas les meilleurs bien sûr, mais c’est que j’ai reçu un secret. Un secret dont j’aurais toute ma vie pour le comprendre, que je comprendrai vraiment le jour de la Grande Rencontre au soir de notre vie. Mais ce secret, si je suis ici aujourd’hui, c’est le signe que je l’accueille peu à peu, je l’assimile, je l’intériorise. Recevoir un secret, c’est l’histoire d’une confidence, d’une confiance entre deux êtres. Ce secret se loge dans la parole du baptême qui nous est révélée. Au soir de ma vie, je comprendrai que Jésus est vraiment le Fils bien-aimé du Père. Il est le messie crucifié, glorifié. Mais dès maintenant, il m’est donné d’en vivre.

Ce secret est aussi le mien. Il réside dans la parole de mon baptême, et j’ai toute ma vie pour l’accueillir, en sachant qu’il se dévoilera pleinement au soir de ma vie. Si vous voulez bien, on peut reprendre notre prénom, notre nom de baptême. Nous sommes des milliards, mais chacun nous entendons : « tu es mon enfant bien-aimé, en toi j’ai mis toute ma joie ». C’est un secret très difficile à accueillir, il est trop grand. Je vous propose en terminant cette méditation, qu’on prenne juste quelques secondes pour dire son prénom puis d’entendre : « tu es mon enfant bien aimé, en toi j’ai mis tout mon amour ». C’est le secret de ma vie. Amen

 

P. N. Rousselot, Sj

PRIÈRE UNIVERSELLE

En écoutant cette phrase d’Isaïe : « l’eau jaillira dans le désert, des torrents jailliront dans le pays aride » (Is 35, 4-7a), nous te prions pour les personnes qui sont paralysés, foudroyées par les désordres actuels de la création. Qu’ils reçoivent de toi la grâce de se lever et le courage pour traverser ces dures épreuves. Nous te prions Seigneur.

En ce jour de rentrée, nous te confions notre communauté St Ignace. Comme dit le psaume, que nous apprenions tout au long de l’année « à te louer, tant que nous existons », en vivant simplement et profondément tes eucharisties dominicales. Nous te prions Seigneur.

Avec saint Jacques, nous intercédons pour que nous chrétiens, nous ne fassions aucune différence entre les personnes, tandis que nous cherchons ton chemin, ta vérité, ta vie, spécialement auprès des plus pauvres. Seigneur nous te prions.

« Effata ! », c’est-à-dire : « Ouvre-toi ! » entendons-nous dans l’Evangile. Donne à chacun de discerner quel engagement il pourra prendre dans notre communauté ou dans la société. Qu’en cette année, nous ne restions pas sourds à ta Parole, que s’ouvre notre cœur, que se délie notre langue, afin de témoigner plus profondément de ta présence . Nous te prions Seigneur.

Président : Christ ressuscité, nous te confions spécialement le peuple d’Afghanistan, qui vit une fois encore les pires heures de son histoire. Intercède pour nous auprès de ton Père, spécialement en cette nouvelle eucharistie. Dans l’Esprit Saint, pour les siècles des siècles.