Marguerite Léna, de la communauté St François-Xavier, nous avait fait l’honneur de donner le commentaire de l’Evangile en ce premier dimanche de l’Avent. Malheureusement, les circonstances que vous connaissez ne nous ont pas permis de nous réunir. Cependant, Marguerite nous fait part de sa méditation magnifique. Prenez le temps de la goûter:

 

Premier Dimanche de l’Avent en Marc 13, 33-37.

33 Prenez garde, restez éveillés : car vous ne savez pas quand ce sera le moment.

34 C’est comme un homme parti en voyage : en quittant sa maison, il a donné tout pouvoir à ses serviteurs, fixé à chacun son travail, et demandé au portier de veiller.

35 Veillez donc, car vous ne savez pas quand vient le maître de la maison, le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin ;

36 s’il arrive à l’improviste, il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis.

37 Ce que je vous dis là, je le dis à tous : Veillez ! »

La liturgie de ce dimanche ouvre une année nouvelle, en un sens plus fort que ne le fait le 1er janvier. Car il s’agit du temps selon Dieu, un temps qui réellement « fait toutes choses nouvelles », c’est-à-dire inédites et donc imprévisibles. En cette saison de pandémie, où nous redécouvrons combien l’avenir est incertain, combien il peut interdire ou déjouer nos projets, il est bon d’accueillir le temps de l’Avent. C’est le temps de passer de nos espoirs souvent déçus à l’espérance, cette espèce humble et désarmée du désir, qui ne déçoit pas et dont les pauvres sont les sourciers.

L’Evangile de ce jour nous offre pour cela une feuille de route. Elle s’adressait d’abord aux chrétiens de la première génération qui attendaient un retour immédiat du Christ, et ont dû consentir à la lenteur et à l’incertitude d’un avenir qu’ils avaient imaginé rapide et triomphal. Le texte vient convertir et transposer l’illusion d’un retour imminent du Seigneur en une conduite effective de vigilance, dans l’humble réalisme du moment présent. Elle rejoint en ce sens la parabole du jugement dernier méditée la semaine dernière, où la présence du Christ se donnait dès maintenant dans l’attention actuelle à l’affamé, au pauvre et au malade.

Ici aussi nous trouvons une parabole : un homme quitte sa maison sans préciser le moment de son retour. Il confie à chacun de ses serviteurs leur tâche propre, en particulier au portier la charge de veiller. Nous sommes ces serviteurs, ce portier, et le maître de la maison, désigné ici par le mot de « Seigneur » (Kyrios) est le Christ lui-même qui vient en sa demeure.

Mais ce petit récit est encadré par un impératif répété à trois reprises : « Veillez ». Nous qui savons poster des vigiles devant les lieux sensibles pour prévenir toute agression, nous qui mettons en veille nos appareils électroniques pour les garder à disposition, saurons-nous être le vigile de notre propre cœur ? Saurons-nous le mettre en veille pour qu’il bondisse au moindre signe de son Seigneur ? Saurons-nous monter cette garde tout en remplissant la tâche qu’il nous a confiée, ici et maintenant ? « Sois le portier de ton propre cœur » recommandait un père du désert du IVème siècle, Evagre le Pontique.

Pourquoi donc veiller ainsi ? Par deux fois, le texte nous en donne la raison : « nous ne savons pas » à quel moment nous sommes. Nous ne savons ni l’heure de la venue du Seigneur dans notre propre vie, ni l’heure de sa venue dans l’histoire des hommes. Cette venue peut surgir « à l’improviste », « le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin ». Cette énumération nous reconduit à l’épaisseur concrète du présent, marqué par les quatre moments d’une journée ; mais de plus elle fait pressentir la suite immédiate de notre texte et elle nous en offre même peut-être une clé.

Ce passage conclut en effet le grand discours eschatologique de Jésus et ouvre immédiatement sur l’imminence de la Pâque, « deux jours après » précise Marc. Or nous retrouvons dans le récit de la Passion et de la Résurrection exactement les mêmes notations temporelles, formulées dans les mêmes mots : le soir de l’arrestation (14,17), le chant du coq de la trahison (14,72), puis le grand matin de la résurrection (16,2). Ainsi nous est peut-être suggéré que la venue du Seigneur s’est déjà accomplie en sa Pâque, et que les journées du triduum pascal ont déjà inscrit pour tous et pour toujours la victoire du Ressuscité sur les menaces de l’avenir. En sa Pâque douloureuse et glorieuse le Seigneur Jésus a rempli notre attente d’une victoire sur la mort. En nous donnant son Esprit Saint il nous a déjà communiqué la vie nouvelle du Royaume. Et nous entendons l’Esprit crier en nous « Abba, Père », le déjà là de notre adoption filiale, et « Maranatha, viens, Seigneur Jésus », le pas encore de sa pleine manifestation.

Un autre indice du texte de Marc nous oriente dans la même direction. L’insistance sur la nécessité de veiller n’apparait qu’une autre fois dans son évangile, lors du récit de l’agonie de Jésus au Jardin des oliviers. A trois reprises (14,34.37-38), Jésus demande aux disciples de veiller, et les trouve en train de dormir. « Jésus est en agonie jusqu’à la fin du monde. Il ne faut pas dormir pendant ce temps-là », écrivait à ce propos Blaise Pascal. A la lumière de notre texte et de la mission confiée à chacun de nous comme à des serviteurs fidèles, il faudrait peut-être ajouter : « Le Seigneur ressuscité est en travail jusqu’à la fin du monde. Il ne faut pas dormir pendant ce temps-là. »

C’est pourquoi notre Eglise veillera en ce temps de l’Avent tantôt comme le samaritain au chevet du blessé – et il y a tant de blessés de toutes sortes autour de nous -, tantôt comme la fiancée du Cantique en attente de l’Epoux – et il y a tant de joie à deviner son pas.